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DES DÉLITS ET DES PEINES.

dans la même loge que Simon Morin ; mais pourra-t-on s’imaginer qu’il trouva beaucoup de crédit auprès du jésuite Annat[1] confesseur du roi ? Il lui persuada que ce pauvre Simon Morin établissait une secte presque aussi dangereuse que le jansénisme même. Enfin, ayant porté l’infamie jusqu’à se rendre délateur, il obtint du lieutenant criminel un décret de prise de corps contre son malheureux rival. Osera-t-on le dire ? Simon Morin fut condamné à être brûlé vif.

Lorsqu’on allait le conduire au supplice, on trouva dans un de ses bas un papier dans lequel il demandait pardon à Dieu de toutes ses erreurs : cela devait le sauver ; mais la sentence était confirmée, il fut exécuté sans miséricorde.

De telles aventures font dresser les cheveux. Et dans quel pays n’a-t-on pas vu des événements aussi déplorables ? Les hommes oublient partout qu’ils sont frères, et ils se persécutent jusqu’à la mort. Il faut se flatter, pour la consolation du genre humain, que ces temps horribles ne reviendront plus.



IX.
des sorciers.

En 1749[2], on brûla une femme dans l’évêché de Vurtzbourg, convaincue d’être sorcière. C’est un grand phénomène dans le siècle où nous sommes. Mais est-il possible que des peuples qui se vantaient d’être réformés, et de fouler aux pieds les superstitions, qui pensaient enfin avoir perfectionné leur raison, aient pourtant cru aux sortiléges, aient fait brûler de pauvres femmes accusées d’être sorcières, et cela plus de cent années après la prétendue réforme de leur raison ?

Dans l’année 1652 une paysanne du petit territoire de Genève, nommée Michelle Chaudron[3], rencontra le diable en sortant de la ville. Le diable lui donna un baiser, reçut son hommage, et imprima sur sa lèvre supérieure et à son téton droit la marque qu’il a coutume d’appliquer à toutes les personnes qu’il reconnaît pour ses favorites. Ce sceau du diable est un petit seing qui rend

  1. Né en 1607, mort en 1670.
  2. Voltaire, ailleurs, dit 1750 ; voyez tome XVII, pages 388 et 502, et, dans le Prix de la justice et de l’humanité, l’article ix, qui traite aussi Des Sorciers.
  3. Voyez aussi tome XVII, page 561.