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COMMENTAIRE SUR LE LIVRE

Il jugea[1] et décida qu’aucun juge ne peut avoir ce droit.

Il y a des affaires criminelles, ou si imprévues, ou si compliquées, ou accompagnées de circonstances si bizarres, que la loi elle-même a été forcée dans plus d’un pays d’abandonner ces cas singuliers à la prudence des juges[2]. Mais s’il se trouve en effet une cause dans laquelle la loi permette de faire mourir un accusé qu’elle n’a pas condamné, il se trouvera mille causes dans lesquelles l’humanité, plus forte que la loi, doit épargner la vie de ceux que la loi elle-même a dévoués à la mort.

L’épée de la justice est entre nos mains ; mais nous devons plus souvent l’émousser que la rendre plus tranchante. On la porte dans son fourreau devant les rois, c’est pour nous avertir de la tirer rarement.

On a vu des juges qui aimaient à faire couler le sang ; tel était Jeffreys, en Angleterre ; tel était, en France, un homme à qui l’on donna le surnom de coupe-tête[3]. De tels hommes n’étaient pas nés pour la magistrature ; la nature les fit pour être bourreaux.



XI.
de l’exécution des arrêts.

Faut-il aller au bout de la terre, faut-il recourir aux lois de la Chine, pourvoir combien le sang des hommes doit être ménagé ?


    que la question fut discutée par les jurisconsultes Azon et Lothaire. Or, comme le remarque M. Brière, Azon étant mort en 1200, dans un âge peu avancé, n’a pu être contemporain ni de Henri V, mort en 1125, ni de Henri VII, qui n’est né qu’en 1262. Henri VI régna, comme on sait, de 1190 à 1197 (voyez tome XIII, page 333). (B.)

  1. Bodin, De Republica, liv. III, chap. v. (Note de Voltaire.)
  2. Il y aura toujours beaucoup moins d’inconvénient à laisser un crime impuni qu’à condamner à une peine capitale sans y être autorisé par une loi expresse. On ôte à la punition le seul caractère qui puisse la rendre légitime, celui d’être infligée pour le crime, et non décernée contre un tel coupable en particulier. Une loi qui permet à un juge de punir de mort lui assure l’impunité s’il use de cette permission, mais elle ne le disculpe point du crime de meurtre. Comment d’ailleurs imaginer qu’un crime grave soit tellement nuisible à la société que l’existence du coupable soit dangereuse, et que cependant ce crime puisse échapper à un législateur attentif, qu’il soit difficile de le prévoir ou de le bien déterminer ? (K.)
  3. M. de Machault avait été surnommé coupe-tête à cause de la sévérité qu’il avait exercée dans ses commissions de magistrature (voyez le Menagiana, iii, 178, édition de 1715). Il était père de M. Machault d’Arnouville, intendant du Hainaut, puis contrôleur général des finances, et ensuite ministre de la marine, disgracié en 1757. (B.)