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DES DÉLITS ET DES PEINES.

Il y a plus de quatre mille ans que les tribunaux de cet empire existent, et il y a aussi plus de quatre mille ans qu’on n’exécute pas un villageois à l’extrémité de l’empire sans envoyer son procès à l’empereur, qui le fait examiner trois fois par un de ses tribunaux ; après quoi il signe l’arrêt de mort, ou le changement de peine, ou de grâce entière[1].

Ne cherchons pas des exemples si loin, l’Europe en est pleine. Aucun criminel en Angleterre n’est mis à mort que le roi n’ait signé la sentence ; il en est ainsi en Allemagne et dans presque tout le Nord, Tel était autrefois l’usage de la France, tel il doit être chez toutes les nations policées. La cabale, le préjugé, l’ignorance, peuvent dicter des sentences loin du trône. Ces petites intrigues, ignorées à la cour, ne peuvent faire impression sur elle : les grands objets l’environnent. Le conseil suprême est plus accoutumé aux affaires, et plus au-dessus du préjugé ; l’habitude de voir tout en grand l’a rendu moins ignorant et plus sage ; il voit mieux qu’une justice subalterne de province si le corps de l’État a besoin ou non d’exemples sévères. Enfin, quand la justice inférieure a jugé sur la lettre de la loi, qui peut être rigoureuse, le conseil mitige l’arrêt suivant l’esprit de toute loi, qui est de n’immoler les hommes que dans une nécessité évidente.



XII.
de la question.

Tous les hommes étant exposés aux attentats de la violence ou de la perfidie détestent les crimes dont ils peuvent être les victimes. Tous se réunissent à vouloir la punition des principaux coupables et de leurs complices ; et tous cependant, par une pitié que Dieu a mise dans nos cœurs, s’élèvent contre les tortures qu’on fait souffrir aux accusés dont on veut arracher l’aveu. La

  1. L’auteur de l’Esprit des lois, qui a semé tant de belles vérités dans son ouvrage, paraît s’être cruellement trompé quand, pour étayer son principe que le sentiment vague de l’honneur est le fondement des monarchies, et que la vertu est le fondement des républiques, il dit des Chinois [viii, 21] : « J’ignore ce que c’est que cet honneur chez des peuples à qui l’on ne fait rien faire qu’à coups de bâton. » Certainement, de ce qu’on écarte la populace avec le pantsé, et de ce qu’on donne des coups de pantsé aux gueux insolents et fripons, il ne s’ensuit pas que la Chine ne soit gouvernée par des tribunaux qui veillent les uns sur les autres, et que ce ne soit une excellente forme de gouvernement. (Note de Voltaire.)