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DES DÉLITS ET DES PEINES.

forme dans tout le royaume ; ne devrait-elle pas être aussi favorable à l’innocent que terrible au coupable ? En Angleterre, un simple emprisonnement fait mal à propos est réparé par le ministre qui l’a ordonné ; mais en France, l’innocent qui a été plongé dans les cachots, qui a été appliqué à la torture, n’a nulle consolation à espérer, nul dommage à répéter contre personne ; il reste flétri pour jamais dans la société. L’innocent flétri ! et pourquoi ? parce qu’il a été disloqué ! il ne devrait exciter que la pitié et le respect. La recherche des crimes exige des rigueurs : c’est une guerre que la justice humaine fait à la méchanceté ; mais il y a de la générosité et de la compassion jusque dans la guerre. Le brave est compatissant ; faudrait-il que l’homme de loi fût barbare ?

Comparons seulement ici, en quelques points, la procédure criminelle des Romains avec la nôtre.

Chez les Romains, les témoins étaient entendus publiquement, en présence de l’accusé, qui pouvait leur répondre, les interroger lui-même, ou leur mettre en tête un avocat. Cette procédure était noble et franche, elle respirait la magnanimité romaine.

Chez nous tout se fait secrètement. Un seul juge, avec son greffier, entend chaque témoin l’un après l’autre. Cette pratique, établie par François Ier, fut autorisée par les commissaires qui rédigèrent l’ordonnance de Louis XIV, en 1670. Une méprise seule en fut la cause.

On s’était imaginé, en lisant le code de Testibus, que ces mots[1] testes intrare judicii secretum signifiaient que les témoins étaient interrogés en secret. Mais secretum signifie ici le cabinet du juge. Intrare secretum, pour dire parler secrètement, ne serait pas latin. Ce fut un solécisme qui fit cette partie de notre jurisprudence.

Les déposants sont, pour l’ordinaire, des gens de la lie du peuple, et à qui le juge, enfermé avec eux, peut faire dire tout ce qu’il voudra. Ces témoins sont entendus une seconde fois, toujours en secret, ce qui s’appelle récolement. Et si, après ce récolement, ils se rétractent dans leurs dépositions, ou s’ils les changent dans des circonstances essentielles, ils sont punis comme faux témoins. De sorte que lorsqu’un homme d’un esprit simple, et ne sachant pas s’exprimer, mais ayant le cœur droit, et se souvenant qu’il en a dit trop ou trop peu, qu’il a mal entendu le juge, ou que le juge l’a mal entendu, révoque ce qu’il a dit par un principe de justice, il est puni comme un scélérat, et il est forcé

  1. Voyez Bornier, titre vi, article ii, des Informations. (Note de Voltaire.)