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COMMENTAIRE SUR LE LIVRE

souvent de soutenir un faux témoignage, par la seule crainte d’être traité en faux témoin.

En fuyant, il s’expose à être condamné, soit que le crime ait été prouvé, soit qu’il ne l’ait pas été. Quelques jurisconsultes, à la vérité, ont assuré que le contumax ne devait pas être condamné si le crime n’était pas clairement prouvé ; mais d’autres jurisconsultes, moins éclairés, et peut-être plus suivis, ont eu une opinion contraire : ils ont osé dire que la fuite de l’accusé était une preuve du crime ; que le mépris qu’il marquait pour la justice, en refusant de comparaître, méritait le même châtiment que s’il était convaincu. Ainsi, suivant la secte des jurisconsultes que le juge aura embrassée, l’innocent sera absous ou condamné.

C’est un grand abus, dans la jurisprudence française, que l’on prenne souvent pour loi les rêveries et les erreurs, quelquefois cruelles, d’hommes sans aveu qui ont donné leurs sentiments pour des lois.

Sous le règne de Louis XIV on a fait deux ordonnances qui sont uniformes dans tout le royaume. Dans la première[1], qui a pour objet la procédure civile, il est défendu aux juges de condamner, en matière civile, sur défaut, quand la demande n’est pas prouvée ; mais dans la seconde[2], qui règle la procédure criminelle, il n’est point dit que, faute de preuves, l’accusé sera renvoyé. Chose étrange ! la loi dit qu’un homme à qui on demande quelque argent ne sera condamné par défaut qu’au cas que la dette soit avérée ; mais s’il est question de la vie, c’est une controverse au barreau de savoir si l’on doit condamner le contumax quand le crime n’est pas prouvé ; et la loi ne résout pas la difficulté.

Quand l’accusé a pris la fuite, vous commencez par saisir et annoter tous ses biens[3] ; vous n’attendez pas seulement que la procédure soit achevée. Vous n’avez encore aucune preuve, vous ne savez pas encore s’il est innocent ou coupable, et vous commencez par lui faire des frais immenses !

C’est une peine, dites-vous, dont vous punissez sa désobéissance au décret de prise de corps. Mais l’extrême rigueur de votre pratique criminelle ne le force-t-elle pas à cette désobéissance ?

Un homme est-il accusé d’un crime, vous l’enfermez d’abord dans un cachot affreux ; vous ne lui permettez communication

  1. Qui est de 1667.
  2. Qui est de 1670.
  3. Cette disposition et beaucoup d’autres non moins révoltantes ont été conservées dans le Code d’Instruction criminelle, qui est de 1808, mais ne peuvent être longtemps encore maintenues. 1831. (B.)