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CHAPITRE XII.

Il institua les fêtes, les cérémonies. Toutes ces choses, qui semblaient arbitraires aux autres nations, et soumises au droit positif, à l’usage, étant commandées par Dieu même, devenaient un droit divin pour les Juifs, comme tout ce que Jésus-Christ, fils de Marie, fils de Dieu, nous a commandé, est de droit divin pour nous.

Gardons-nous de rechercher ici pourquoi Dieu a substitué une loi nouvelle à celle qu’il avait donnée à Moïse, et pourquoi il avait commandé à Moïse plus de choses qu’au patriarche Abraham, et plus à Abraham qu’à Noé[1]. Il semble qu’il daigne

  1. Dans l’idée que nous avons de faire sur cet ouvrage quelques notes utiles, nous remarquerons ici qu’il est dit que Dieu fit une alliance avec Noé et avec tous les animaux ; et cependant il permet à Noé de manger de tout ce qui a vie et mouvement ; il excepte seulement le sang, dont il ne permet pas qu’on se nourrisse. Dieu ajoute [Genèse, ix, 5] « qu’il tirera vengeance de tous les animaux qui ont répandu le sang de l’homme ».

    On peut inférer de ces passages et de plusieurs autres ce que toute l’antiquité a toujours pensé jusqu’à nos jours, et ce que tous les hommes sensés pensent, que les animaux ont quelque connaissance. Dieu ne fait point un pacte avec les arbres et avec les pierres, qui n’ont point de sentiment ; mais il en fait un avec les animaux, qu’il a daigné douer d’un sentiment souvent plus exquis que le nôtre, et de quelques idées nécessairement attachées à ce sentiment. C’est pourquoi il ne veut pas qu’on ait la barbarie de se nourrir de leur sang, parce qu’en effet le sang est la source de la vie, et par conséquent du sentiment. Privez un animal de tout son sang, tous ses organes restent sans action. C’est donc avec très-grande raison que l’Écriture dit en cent endroits que l’âme, c’est-à-dire ce qu’on appelait l’âme sensitive, est dans le sang ; et cette idée si naturelle a été celle de tous les peuples.

    C’est sur cette idée qu’est fondée la commisération que nous devons avoir pour les animaux. Des sept préceptes des Noachides, admis chez les Juifs, il y en a un qui défend de manger le membre d’un animal en vie. Ce précepte prouve que les hommes avaient eu la cruauté de mutiler les animaux pour manger leurs membres coupés, et qu’ils les laissaient vivre pour se nourrir successivement des parties de leurs corps. Cette coutume subsista en effet chez quelques peuples barbares, comme on le voit par les sacrifices de l’île de Chio, à Bacchus Omadios, le mangeur de chair crue. Dieu, en permettant que les animaux nous servent de pâture, recommande donc quelque humanité envers eux. Il faut convenir qu’il y a de la barbarie à les faire souffrir ; il n’y a certainement que l’usage qui puisse diminuer en nous l’horreur naturelle d’égorger un animal que nous avons nourri de nos mains. Il y a toujours eu des peuples qui s’en sont fait un grand scrupule : ce scrupule dure encore dans la presqu’île de l’Inde ; toute la secte de Pythagore, en Italie et en Grèce, s’abstint constamment de manger de la chair. Porphyre, dans son livre de l’Abstinence, reproche à son disciple de n’avoir quitté sa secte que pour se livrer à son appétit barbare.

    Il faut, ce me semble, avoir renoncé à la lumière naturelle, pour oser avancer que les bêtes ne sont que des machines. Il y a une contradiction manifeste à convenir que Dieu a donné aux bêtes tous les organes du sentiment, et à soutenir qu’il ne leur a point donné de sentiment.

    Il me paraît encore qu’il faut n’avoir jamais observé les animaux pour ne pas distinguer chez eux les différentes voix du besoin, de la souffrance, de la joie ; de