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CHAPITRE XII.

Ils appuient leur sentiment sur ce qu’il n’est parlé d’aucun acte religieux du peuple dans le désert : point de pâque célébrée, point de pentecôte, nulle mention qu’on ait célébré la fête des


    hiéroglyphes, la substance des choses qu’on voulait transmettre à la postérité, et non pas des histoires détaillées ; qu’il n’était pas possible de graver de gros livres dans un désert où l’on changeait si souvent de demeure, où l’on n’avait personne qui pût ni fournir des vêtements, ni les tailler, ni même raccommoder les sandales, et où Dieu fut obligé de faire un miracle de quarante années [Deutéronome, viii, 5] pour conserver les vêtements et les chaussures de son peuple. Ils disent qu’il n’est pas vraisemblable qu’on eût tant de graveurs de caractères, lorsqu’on manquait des arts les plus nécessaires, et qu’on ne pouvait même faire du pain ; et si on leur dit que les colonnes du tabernacle étaient d’airain, et les chapiteaux d’argent massif, ils répondent que l’ordre a pu en être donné dans le désert, mais qu’il ne fut exécuté que dans des temps plus heureux.

    Ils ne peuvent concevoir que ce peuple pauvre ait demandé un veau d’or massif [Exode, xxxii, 1] pour l’adorer au pied de la montagne même où Dieu parlait à Moïse, au milieu des foudres et des éclairs que ce peuple voyait [Exode, xix, 18-19], et au son de la trompette céleste qu’il entendait. Ils s’étonnent que la veille du jour même où Moïse descendit de la montagne, tout ce peuple se soit adressé au frère de Moïse pour avoir ce veau d’or massif. Comment Aaron le jeta-t-il en fonte en un seul jour [Exode, xxxii, 4] comment ensuite Moïse le réduisit-il en poudre [Exode, xxxii, 20] ? Ils disent qu’il est impossible à tout artiste de faire en moins de trois mois une statue d’or, et que, pour la réduire en poudre qu’on puisse avaler, l’art de la chimie la plus savante ne suffit pas : ainsi la prévarication d’Aaron et l’opération de Moïse auraient été deux miracles.

    L’humanité, la bonté de cœur, qui les trompent, les empêchent de croire que Moïse ait fait égorger vingt-trois mille personnes [Exode, xxxii, 28] pour expier ce péché ; ils n’imaginent pas que vingt-trois mille hommes se soient ainsi laissé massacrer par des lévites, à moins d’un troisième miracle. Enfin ils trouvent étrange qu’Aaron, le plus coupable de tous, ait été récompensé du crime dont les autres étaient si horriblement punis [Exode, xxxiii, 19; et Lévitique, viii, 2], et qu’il ait été fait grand prêtre, tandis que les cadavres de vingt-trois mille de ses frères sanglants étaient entassés au pied de l’autel où il allait sacrifier.

    Ils font les mêmes difficultés sur les vingt-quatre mille Israélites massacrés par l’ordre de Moïse [Nombres, xxv, 9], pour expier la faute d’un seul qu’on avait surpris avec une fille madianite. On voit tant de rois juifs, et surtout Salomon, épouser impunément des étrangères que ces critiques ne peuvent admettre que l’alliance d’une Madianite ait été un si grand crime : Ruth était Moabite, quoique sa famille fût originaire de Bethléem ; la sainte Écriture l’appelle toujours Ruth la Moabite : cependant elle alla se mettre dans le lit de Booz par le conseil de sa mère ; elle en reçut six boisseaux d’orge, l’épousa ensuite, et fut l’aïeule de David. Rahab était non-seulement étrangère, mais une femme publique ; la Vulgate ne lui donne d’autre titre que celui de meretrix [Josué, vi, 17]; elle épousa Salmon, prince de Juda ; et c’est encore de ce Salmon que David descend. On regarde même Rahab comme la figure de l’Église chrétienne : c’est le sentiment de plusieurs Pères, et surtout d’Origène dans sa septième homélie sur Josué.

    Bethsabée, femme d’Urie, de laquelle David eut Salomon, était Éthéenne. Si vous remontez plus haut, le patriarche Juda épousa une femme chananéenne ; ses enfants eurent pour femme Thamar, de la race d’Aram : cette femme, avec laquelle Juda commit, sans le savoir, un inceste, n’était pas de la race d’Israël.

    Ainsi notre Seigneur Jésus-Christ daigna s’incarner chez les Juifs dans une