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SI L’INTOLÉRANCE FUT DE DROIT DIVIN.

timents n’appartiennent qu’à Dieu dans la théocratie judaïque. On ne peut trop redire[1] que ces temps et ces mœurs n’ont aucun rapport aux nôtres.

Enfin lorsque, dans les siècles postérieurs, Naaman l’idolâtre demanda à Élisée s’il lui était permis de suivre son roi[2] dans le temple de Remnon, et d’y adorer avec lui, ce même Élisée, qui avait fait dévorer les enfants par les ours, ne lui répondit-il pas : Allez en paix ?

Il y a bien plus ; le Seigneur ordonna à Jérémie de se mettre des cordes au cou, des colliers[3], et des jougs, de les envoyer aux

  1. Voltaire le dit tome XIX, page 239, et dans plusieurs passages de la Bible enfin expliquée ; mais ces écrits sont postérieurs au Traité sur la Tolérance.
  2. Rois, liv. IV, ch. v, v. 18 et 19. (Note de Voltaire.)
  3. Ceux qui sont peu au fait des usages de l’antiquité, et qui ne jugent que d’après ce qu’ils voient autour d’eux, peuvent être étonnés de ces singularités ; mais il faut songer qu’alors dans l’Égypte, et dans une grande partie de l’Asie, la plupart des choses s’exprimaient par des figures, des hiéroglyphes, des signes, des types.

    Les prophètes, qui s’appelaient les voyants chez les Égyptiens et chez les Juifs, non-seulement s’exprimaient en allégories, mais ils figuraient par des signes les événements qu’ils annonçaient. Ainsi Isaïe, le premier des quatre grands prophètes juifs, prend un rouleau (chap. viii), et y écrit : « Shas bas, butinez vite » ; puis il s’approche de la prophétesse. Elle conçoit, et met au monde un fils qu’il appelle Maher-Salas-Has-bas : c’est une figure des maux que les peuples d’Égypte et d’Assyrie feront aux Juifs.

    Ce prophète dit [vii, 15, 16, 18, 20] : « Avant que l’enfant soit en âge de manger du beurre et du miel, et qu’il sache réprouver le mauvais et choisir le bon, la terre détestée par vous sera délivrée des deux rois ; le Seigneur sifflera aux mouches d’Égypte et aux abeilles d’Assur ; le Seigneur prendra un rasoir de louage, et en rasera toute la barbe et les poils des pieds du roi d’Assur. »

    Cette prophétie des abeilles, de la barbe, et du poil des pieds rasés, ne peut être entendue que par ceux qui savent que c’était la coutume d’appeler les essaims au son du flageolet ou de quelque autre instrument champêtre ; que le plus grand affront qu’on pût faire à un homme était de lui couper la barbe ; qu’on appelait le poil des pieds, le poil du pubis ; que l’on ne rasait ce poil que dans les maladies immondes, comme celle de la lèpre. Toutes ces figures si étrangères à notre style ne signifient autre chose sinon que le Seigneur, dans quelques années, délivrera son peuple d’oppression.

    Le même Isaîe (chap. xx) marche tout nu, pour marquer que le roi d’Assyrie emmènera d’Égypte et d’Éthiopie une foule de captifs qui n’auront pas de quoi couvrir leur nudité.

    Ézéchiel (chap. iv et suiv.) mange le volume de parchemin qui lui est présenté ; ensuite il couvre son pain d’excréments, et demeure couché sur son côté gauche trois cent quatre-vingt-dix jours, et sur le côté droit quarante jours, pour faire entendre que les Juifs manqueront de pain, et pour signifier les années que devait durer la captivité. Il se charge de chaînes, qui figurent celles du peuple ; il coupe ses cheveux et sa barbe, et les partage en trois parties : le premier tiers désigne ceux qui doivent périr dans la ville ; le second, ceux qui seront mis à mort autour des murailles ; le troisième, ceux qui doivent être emmenés à Babylone.

    Le prophète Osée (chap. iii) s’unit à une femme adultère, qu’il achète quinze