Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome26.djvu/135

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plaisanteries, qu’il faut pardonner aux intéressés. Heureux ceux qui, lorsqu’ils sont outragés, se contentent de rire ! Vous savez, mon cher lecteur, que le public est alerte sur les fautes des gens de lettres comme sur l’orgueil, l’avarice, et les petites paillardises qu’on a quelquefois reprochées aux moines. Plus un état exige de circonspection, plus les faiblesses sont remarquées ; et si les moines ont fait vœu de chasteté, d’humilité, et de pauvreté, les gens de lettres semblent avoir fait vœu de raison.


SEPTIÈME HONNÊTETÉ.

Lorsque le R. P. La Valette[1], alias Duclos, alias Lefèvre, eut fait sa première banqueroute, ad majorem Societatis gloriam ; lorsque des imprimeurs huguenots eurent rafraîchi les premières pages d’une vieille édition du R. P. Busembaum[2], que l’on fit passer pour nouvelle, et qu’ils eurent ainsi jeté, sans le savoir, la première pierre qui a servi à lapider la Société de Jésus ; lorsque ces Pères écrivaient en faveur de leur corps tant de petits livres qu’on ne lit plus ; lorsque quelques prélats, s’imaginant que la Société de Jésus était immortelle et invulnérable, lui firent leur cour très-maladroitement par quelques écrits ; lorsque le bourreau brûla, selon son usage, une belle lettre du révérendissime père en Dieu Jean-George Lefranc, évêque du Puy en Velay[3], il y eut alors une inondation de brochures, et autant d’injures de part et d’autre qu’il y avait de jésuites en France…

La principale honnêteté fut entre les révérends pères dominicains et les révérends pères jésuites. Les jésuites, dans un écrit intitulé Lettre d’un homme du monde à un théologien, page 4, complimentèrent les jacobins sur leur frère Politien de Montepulciano[4], qui, dit-on, empoisonna avec une hostie le méchant empereur Henri VII ; sur le bienheureux Jacques Clément, ainsi nommé par la Ligue ; sur Edmond Bourgoin son prieur ; sur frères Pierre Argier et Ridicouse, roués tous deux à Paris.

Les jacobins répondirent à ce compliment par une longue énumération des martyrs de la Société ; et cette liste ne finissait

  1. Voyez tome XVI, page 100.
  2. Voyez tome XII, page 559.
  3. Lefranc de Pompignan (J.-G.), lors de la destruction des jésuites, fit une Lettre écrite au roi par M. l’évêque D. P. sur l’affaire des jésuites ; 1762, in-12 de 43 pages. Il est à croire que c’est cet opuscule dont le faux-titre porte : Lettre d’un évêque au roi, que Voltaire désigne ici. (B.)
  4. Voyez tome XI, pages 530-31 ; et XIII, 387.