Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome26.djvu/142

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de Bar-sur-Aube, on ne peut pas avoir grande foi à ces Lettres secrètes.

Ensuite le nommé Schneider, libraire d’Amsterdam, a débité, sous le nom de Genève, les Lettres du même homme à ses amis du Parnasse : c’est là le titre. Il se trouve que ces amis du Parnasse sont le roi de Pologne, le roi de Prusse, l’électeur palatin, le duc de Bouillon, etc. Outre la décence de ce titre, on fait dire, dans ces lettres, à l’auteur de la Henriade et du Siècle de Louis XIV, qu’à la cour de France il y a d’agréables commères qui aiment Jean-Jacques Rousseau comme leur toutou. On ajoute à ces gentillesses des notes infâmes contre des personnes respectables ; et il y a surtout trois lettres à un chevalier de Bruan qui n’a jamais existé, et qu’on appelle mon cher Philinte. L’éditeur doute si ces trois lettres sont de M. de Montesquieu ou de M. de Voltaire, quoique aucun de leurs laquais n’eût voulu les avoir écrites[1]. On a déjà dit ailleurs[2] que ces bêtises se vendent à la foire de Leipsick, comme on vend du vin d’Orléans pour du vin de Pontac. Il est bon d’en avertir ceux qui ne sont pas gourmets.

SEIZIÈME HONNÊTETÉ.

Il est encore plus utile d’avertir ici que le style simple, sage et noble, orné, mais non surchargé de fleurs, qui caractérisait les bons auteurs du siècle de Louis XIV, paraît aujourd’hui trop froid et trop rampant aux petits auteurs de nos jours ; ils croient être éloquents, lorsqu’ils écrivent avec une violence effrénée ; ils pensent être des Montesquieu, quand ils ont à tort et à travers insulté quelques cours et quelques ministres du fond de leurs greniers, et qu’ils ont entassé sans esprit injure sur injure ; ils croient être des Tacite, lorsqu’ils ont lancé quelques solécismes audacieux à des hommes dont les valets de chambre dédaigneraient de leur parler ; ils s’érigent en Catons et en Brutus la plume à la main. Les bons écrivains du siècle de Louis XIV ont eu de la force ; aujourd’hui, on cherche des contorsions.

  1. Voici quelques lignes de la dernière à mon cher Philinte : « Il est impossible qu’il y ait un grand homme parmi nos rois, puisqu’ils sont abrutis et avilis dès le berceau par une foule de scélérats qui les environne, et qui les obsède jusqu’au tombeau. »

    C’est ainsi qu’on parle des ducs de Montausier et de Beauvilliers, des Bossuet et des Fénelon, et de leurs successeurs ; cela s’appelle écrire avec noblesse, et soutenir les droits de l’humanité. C’est là le style ferme de la nouvelle éloquence. (Note de Voltaire.) — Voyez tome XXV, page 583.

  2. Voyez tome XXIII, page 513.