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VINGT-QUATRIÈME HONNÊTETÉ.
DES PLUS MÉDIOCRES.

Un abbé Guyon, qui a écrit une Histoire du Bas-Empire dans un style convenable au titre, dégoûté d’écrire l’histoire, se mit, il y a peu d’années, à faire un roman[1]. Il alla, dit-il, dans un château qui n’existe point ; il y fut très-bien reçu : accueil auquel il n’est pas apparemment accoutumé. Le maître de la maison, qu’il n’a jamais vu, lui confia, immédiatement après le dîner, tous ses secrets. Il lui avoua que M. B. est un hérétique ; M. C., un déiste ; M. D., un socinien ; M. F., un athée, et M. G., quelque chose de pis ; et que, pour lui, seigneur du château, il avait l’honneur d’être l’antechrist, et qu’il lui offrait un drapeau dans ses troupes sous les ordres de MM. Da, De, Di, Do, Du[2], ses capitaines. Il dit qu’il fit très-bonne chère chez l’antechrist : c’est en effet un des caractères de ce seigneur, que nous attendons, et c’est par là en partie qu’il séduira les élus.

L’abbé Guyon parle ensuite de Louis XIV : il dit que ce monarque « n’allait à la guerre qu’accompagné de plusieurs cours brillantes ; mais que son médaillon a deux faces » ; il ajoute que, dans les dernières années de ce prince, il n’y a rien d’intéressant, « sinon les quatre-vingt mille livres de pension qu’obtint Mme de Maintenon à la mort de ce monarque ». Voilà la manière dont ledit Guyon veut qu’on écrive l’histoire. Laissons-le faire la fonction d’aumônier auprès de l’antechrist, et n’en parlons plus.


VINGT-CINQUIÈME HONNÊTETÉ.
FORT MINCE.

Cette vingt-cinquième honnêteté est celle d’un nommé Larnet, prédicant d’un village près de Carcassonne en Languedoc[3]. Ce prédicant a fait un libelle de Lettres en deux volumes, contre sept ou huit personnes qu’il ne connaît pas, dédié à un grand seigneur qu’il connaît encore moins. Ces écrivains de lettres ont toujours des correspondants, comme les poëtes ont des Phyllis et des Ama-

  1. L’Oracle des nouveaux philosophes, pour servir de suite et d’éclaircissement aux OEuvres de M. de Voltaire, 1759, in-12 ; 1760, in-12 ; et Suite de l’Oracle des nouveaux philosophes, 1760, in-12.
  2. Voyez page 346 de l’édition de 1760 de l’Oracle, etc.
  3. Sous le nom de Larnet, Voltaire désigne Vernet, auteur des Lettres critiques d’un voyageur anglais ; voyez tome XXV, pages 492-93.