Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome26.djvu/20

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

d’Oppède échappa au supplice qu’il avait mérité. Cette grande cause fut plaidée pendant cinquante audiences. On a encore les plaidoyers ; ils sont curieux. D’Oppède et Guérin alléguaient pour leur justification tous les passages de l’Écriture où il est dit :

Frappez les habitants par le glaive, détruisez tout jusqu’aux animaux[1] ;

Tuez le vieillard, l’homme, la femme, et l’enfant à la mamelle[2] ;

Tuez l’homme, la femme, l’enfant sevré, l’enfant qui tette, le bœuf, la brebis, le chameau, et l’âne[3].

Ils alléguaient encore les ordres et les exemples donnés par l’Église contre les hérétiques. Ces exemples et ces ordres n’empêchèrent pas que Guérin ne fût pendu. C’est la seule proscription de cette espèce qui ait été punie par les lois, après avoir été faite à l’abri de ces lois mêmes.

conspiration de la saint-barthélemy.

Il n’y eut que vingt-huit ans d’intervalle entre les massacres de Mérindol et la journée de la Saint-Barthélemy. Cette journée fait encore dresser les cheveux à la tête de tous les Français, excepté ceux d’un abbé[4] qui a osé imprimer, en 1758, une espèce d’apologie de cet événement exécrable. C’est ainsi que quelques esprits bizarres ont eu le caprice de faire l’apologie du diable. « Ce ne fut, dit-il, qu’une affaire de proscription. » Voilà une étrange excuse ! Il semble qu’une affaire de proscription soit une chose d’usage, comme on dit une affaire de barreau, une affaire d’intérêt, une affaire de calcul, une affaire d’église.

Il faut que l’esprit humain soit bien susceptible de tous les travers pour qu’il se trouve, au bout de près de deux cents ans, un homme qui, de sang-froid, entreprend de justifier ce que l’Europe entière abhorre. L’archevêque Péréfixe[5] prétend qu’il périt cent mille Français dans cette conspiration religieuse. Le duc de Sully n’en compte que soixante et dix mille. Monsieur l’abbé abuse du martyrologe des calvinistes, lequel n’a pu tout compter, pour affirmer qu’il n’y eut que quinze mille victimes. Eh ! monsieur l’abbé, ne serait-ce rien que quinze mille personnes égorgées en pleine paix par leurs concitoyens ?

  1. Deutéronome, chap. xiii, 24. (Note de Voltaire.)
  2. Josué, chap. vi, 21. (Id.)
  3. Premier livre des Rois, chapitre xv, 3. (Id.)
  4. Caveyrac. Voyez, tome XXIV, la note 1 de la page 476.
  5. Dans sa Vie de Henri IV, 1661.