Le nombre des morts ajoute sans doute beaucoup à la calamité d’une nation, mais rien à l’atrocité du crime. Vous prétendez, homme charitable, que la religion n’eut aucune part à ce petit mouvement populaire. Oubliez-vous le tableau que le pape Grégoire XIII fit placer dans le Vatican, et au bas duquel était écrit : Pontifex Colignii necem probat ? Oubliez-vous sa procession solennelle de l’église Saint-Pierre à l’église Saint-Louis, le Te Deum qu’il fit chanter, les médailles qu’il fit frapper pour perpétuer la mémoire de l’heureux carnage de la Saint-Barthélemy[1] ? Vous n’avez peut-être pas vu ces médailles ; j’en ai vu entre les mains de M. l’abbé de Rothelin[2]. Le pape Grégoire y est représenté d’un côté, et de l’autre c’est un ange qui tient une croix dans la main gauche, et une épée dans la droite. En voilà-t-il assez, je ne dis pas pour vous convaincre, mais pour vous confondre ?
La conjuration des Irlandais catholiques contre les protestants, sous Charles Ier, en 1641, est une fidèle imitation de la Saint-Barthélemy. Des historiens anglais contemporains, tels que le chancelier Clarendon et un chevalier Jean Temple, assurent qu’il y eut cent cinquante mille hommes de massacrés. Le parlement d’Angleterre, dans sa déclaration du 25 juillet 1643, en compte quatre-vingt mille[3] ; mais M. Brooke[4], qui paraît très-instruit, crie à l’injustice dans un petit livre que j’ai entre les mains. Il dit qu’on se plaint à tort ; et il semble prouver assez bien qu’il n'y eut que quarante mille citoyens d’immolés à la religion, en y comprenant les femmes et les enfants.
J’omets ici un grand nombre de proscriptions particulières. Les petits désastres ne se comptent point dans les calamités générales ; mais je ne dois point passer sous silence la proscription des habitants des vallées du Piémont, en 1655.
C’est une chose assez remarquable dans l’histoire que ces
- ↑ Voyez tome XV, page 529.
- ↑ Littérateur et numismate, 1691-1744 ; il avait rapporté d’Italie une très-belle collection de médailles.
- ↑ L’impression de 1766 disait cent cinquante mille : ce qui n’était qu’une faute d’impression corrigée en 1771. (B.)
- ↑ Littérateur irlandais que Voltaire a déjà cité.