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CHAPITRE XXIX.


CHAPITRE XXIX.

DE CONSTANTIN.

Quel est l’homme qui, ayant reçu une éducation tolérable, puisse ignorer ce que c’était que Constantin ? Il se fait reconnaître empereur au fond de l’Angleterre par une petite armée d’étrangers : avait-il plus de droit à l’empire que Maxence, élu par le sénat ou par les armées romaines ?

Quelque temps après, il vient en Gaule et ramasse des soldats chrétiens attachés à son père ; il passe les Alpes, grossissant toujours son armée ; il attaque son rival, qui tombe dans le Tibre au milieu de la bataille. On ne manque pas de dire qu’il y a eu du miracle dans sa victoire, et qu’on a vu dans les nuées un étendard et une croix céleste où chacun pouvait lire en lettres grecques : Tu vaincras par ce signe. Car les Gaulois, les Bretons, les Allobroges, les Insubriens, qu’il traînait à sa suite, entendaient tous le grec parfaitement, et Dieu aimait mieux leur parler grec que latin.

Cependant, malgré ce beau miracle qu’il fit lui-même divulguer, il ne se fit point encore chrétien ; il se contenta, en bon politique, de donner liberté de conscience à tout le monde, et il fit une profession si ouverte du paganisme qu’il prit le titre de grand pontife : ainsi il est démontré qu’il ménageait les deux religions ; en quoi il se conduisait très-prudemment dans les premières années de sa tyrannie. Je me sers ici du mot de tyrannie sans aucun scrupule, car je ne me suis pas acoutumé à reconnaître pour souverain un homme qui n’a d’autres droits que la force ; et je me sens trop humain pour ne pas appeler tyran un barbare qui a fait assassiner son beau-père Maximien-Hercule à Marseille, sous le prétexte le moins spécieux, et l’empereur. Licinius, son beau-frère, à Thessalonique, par la plus lâche perfidie.

J’appelle tyran sans doute celui qui fait égorger son fils Crispus, étouffer sa femme Fausta, et qui, souillé de meurtres et de parricides, étalant le faste le plus révoltant, se livrait à tous les plaisirs dans la plus infâme mollesse.

Que de lâches flatteurs ecclésiastiques lui prodiguent des éloges, même en avouant ses crimes ; qu’ils voient, s’ils veulent, en lui un grand homme, un saint, parce qu’il s’est fait plonger rois fois dans une cuve d’eau : un homme de ma nation et de