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CHAPITRE XXXIII.


Grégoire de Nazianze prononça contre lui après sa mort. Il est vrai que, si Julien avait vécu, le christianisme courait risque d’être aboli. Certainement Julien était un plus grand homme que Mahomet, qui a détruit la secte chrétienne dans toute l’Asie et dans toute l’Afrique ; mais tout cède à la destinée, et un Arabe sans lettres a écrasé la secte d’un Juif sans lettres, ce qu’un grand empereur et un philosophe n’a pu faire. Mais c’est que Mahomet vécut assez, et Julien trop peu.

Les christicoles ont osé dire que Julien n’avait vécu que trente et un ans, en punition de son impiété ; et ils ne songent pas que leur prétendu Dieu n’a pas vécu davantage[1].


CHAPITRE XXXIII.

CONSIDÉRATIONS SUR JULIEN.

Julien, stoïcien de pratique, et d’une vertu supérieure à celle de sa secte même, était platonicien de théorie : son esprit sublime avait embrassé la sublime idée de Platon, prise des anciens Chaldéens, que Dieu existant de toute éternité avait créé des êtres de toute éternité. Ce Dieu immuable, pur, immortel, ne put former que des êtres semblables à lui, des images de sa splendeur, auxquels il ordonna de créer les substances mortelles : ainsi Dieu fit les dieux, et les dieux firent les hommes.

Ce magnifique système n’était pas prouvé ; mais une telle imagination vaut sans doute mieux qu’un jardin dans lequel on a établi les sources du Nil et de l’Euphrate, qui sont à huit cents grandes lieues l’une de l’autre ; un arbre qui donne la connaissance du bien et du mal ; une femme tirée de la côte d’un homme ; un serpent qui parle, un chérubin qui garde la porte ; et toutes les dégoûtantes rêveries dont la grossièreté juive a farci cette fable, empruntée des Phéniciens. Aussi faut-il, voir, dans Cyrille, avec quelle éloquence Julien confondit ces absurdités. Cyrille eut assez d’orgueil pour rapporter les raisons de Julien, et pour croire lui répondre.

Julien daigne faire voir combien il répugne à la nature de Dieu d’avoir mis dans le jardin d’Éden des fruits qui donnaient la connaissance du bien et du mal, et d’avoir défendu d’en manger. Il fallait, au contraire, comme nous l’avons déjà remar-

  1. Voyez page 259.