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SUR L’ATHÉISME.

mais que le mouvement seul produise des êtres pourvus d’organes, dont le jeu est incompréhensible ; que ces organes soient toujours proportionnés les uns aux autres ; que des efforts innombrables produisent des effets innombrables dans une régularité qui ne se dément jamais ; que tous les êtres vivants produisent leurs semblables ; que le sentiment de la vue, qui, au fond, n’a rien de commun avec les yeux, s’exerce toujours quand les yeux reçoivent les rayons qui partent des objets ; que le sentiment de l’ouïe, qui est totalement étranger à l’oreille, nous fasse à tous entendre les mêmes sons quand l’oreille est frappée des vibrations de l’air : c’est là le véritable nœud de la question ; c’est là ce que nulle combinaison ne peut opérer sans un artisan. Il n’y a nul rapport des mouvements de la matière au sentiment, encore moins à la pensée. Une éternité de tous les mouvements possibles ne donnera jamais ni une sensation, ni une idée ; et, qu’on me le pardonne, il faut avoir perdu le sens ou la bonne foi pour dire que le seul mouvement de la matière fait des êtres sentants et pensants.

Aussi Spinosa, qui raisonnait méthodiquement, avouait-il qu’il y a dans le monde une intelligence universelle.

Cette intelligence, dit-il avec plusieurs philosophes, existe nécessairement avec la matière : elle en est l’âme ; l’une ne peut être sans l’autre. L’intelligence universelle brille dans les astres, nage dans les éléments, pense dans les hommes, végète dans les plantes.

Mens agitat molem, et magno se corpore miscet.

(Virg., Æn., VI, 727.)

Ils sont donc forcés de reconnaître une intelligence suprême ; mais ils la font aveugle et purement mécanique : ils ne la reconnaissent point comme un principe libre, indépendant et puissant.

Il n’y a selon eux qu’une seule substance, et une substance n’en peut produire une autre. Cette substance est l’universalité des choses, qui est à la fois pensante, sentante, étendue, figurée.

Mais raisonnons de bonne foi : n’apercevons-nous pas un choix dans tout ce qui existe ? Pourquoi y a-t-il un certain nombre d’espèces ? Ne pourrait-il pas évidemment en exister moins ? Ne pourrait-il pas en exister davantage ? Pourquoi, dit le judicieux Clarke, les planètes tournent-elles en un sens plutôt qu’en un autre ? J’avoue que, parmi d’autres arguments plus forts, celui-ci me frappe vivement ; il y a un choix : donc il y a un maître qui agit par sa volonté.

Cet argument est encore combattu par nos adversaires ; vous les entendez dire tous les jours : Ce que vous voyez est nécessaire.