Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome26.djvu/366

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l’esprit humain, et de finir par un catalogue raisonné de ceux qui se sont signalés dans les lettres.

C’est un édifice dont la vérité dut préparer tous les matériaux ; l’infidélité des histoires de Louis XIV écrites dans les pays étrangers, composées sur des journaux et des gazettes, ou plutôt sur des rumeurs odieuses, exigeait qu’un citoyen à portée d’être instruit se chargeât de ce travail. L’auteur s’y était préparé depuis longtemps. Il avait consulté tous les mémoires manuscrits, et surtout ceux de M. le maréchal de Villars, dont le premier tome a été imprimé depuis[1].

Il ne tira pas moins de lumières de plusieurs anciens courtisans de Louis XIV. Il mettait par écrit tout ce qu’il leur entendait dire, et confrontait leurs récits.

Éclairé par tant de secours, il osa le premier démentir tous les historiens du temps, et même tous les manifestes publiés en Europe, concernant l’origine de la grande révolution qui a mis la maison de France sur les trônes d’Espagne et des Deux-Siciles. Toutes les cours restaient encore persuadées que Louis XIV avait dicté dans Versailles le testament que Charles II, roi d’Espagne, signa dans Madrid.

L’auteur du Siècle n’avait alors pour garant du contraire que quelques mots de la main de M. le marquis de Torcy, qu’il conserve encore : La cour de Versailles n’y a eu aucune part. Ces mots sont en marge avec d’autres réponses à plusieurs questions. Ce peu de paroles d’un ministre véridique et vertueux, combinées avec toutes les découvertes que l’auteur fit d’ailleurs, l’enhardirent à contredire l’Europe. On vit avec étonnement qu’en effet le dernier descendant de Charles-Quint avait légué, par sa seule volonté, tous ses États au petit-fils de son ennemi. Les critiques s’élevèrent de toutes parts ; mais lorsque enfin les Mémoires du marquis de Torcy furent publiés[2], les critiques se turent.

Il en fut de même sur l’Homme au masque de fer[3]. Ce fait si peu vraisemblable et si vrai, ce fait unique fut révoqué en doute ; tous les ambassadeurs s’en informèrent à une fille de M. de Torcy, qui leur confirma la vérité. Il n’y a aujourd’hui qu’un seul homme qui sache quel était cet infortuné dont l’aventure nous épouvante encore ; et cet homme auguste est trop au-dessus des autres pour être cité[4].

  1. Voyez tome XIV, page 142.
  2. Voyez tome XIV, page 55.
  3. Voyez tome XIV, page 427.
  4. Louis XV.