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POUR LE PRINCE ROYAL DE***.

pables de supporter les travaux militaires. Aussi a-t-on vu un seul prince du Nord[1], dont les États n’étaient pas comptés pour une puissance dans le siècle passé, résister à tous les efforts des maisons d’Autriche et de France.

III.

Ne persécutez jamais personne pour ses sentiments sur la religion : cela est horrible devant Dieu et devant les hommes. Jésus-Christ, loin d’être oppresseur, a été opprimé. S’il y avait dans l’univers un être puissant et méchant, ennemi de Dieu, comme l’ont prétendu les manichéens, son partage serait de persécuter les hommes. Il y a trois religions établies de droit humain dans l’empire : je voudrais qu’il y en eût cinquante dans vos États, ils en seraient plus riches, et vous en seriez plus puissant. Rendez toute superstition ridicule et odieuse, vous n’aurez jamais rien à craindre de la religion. Elle n’a été terrible et sanguinaire, elle n’a renversé des trônes, que lorsque les fables ont été accréditées et les erreurs réputées saintes. C’est l’insolente absurdité des deux glaives ; c’est la prétendue donation de Constantin ; c’est la ridicule opinion qu’un paysan juif de Galilée[2] avait joui vingt-cinq ans à Rome des honneurs du souverain pontificat ; c’est la compilation des prétendues décrétales faite par un faussaire ; c’est une suite non interrompue, pendant plusieurs siècles, de légendes mensongères, de miracles impertinents, de livres apocryphes, de prophéties attribuées à des sibylles ; c’est enfin ce ramas odieux d’impostures qui rendit les peuples furieux, et qui fit trembler les rois. Voilà les armes dont on se servit pour déposer le grand empereur Henri IV, pour le faire prosterner aux pieds de Grégoire VII, pour le faire mourir dans la pauvreté, et pour le priver de la sépulture ; c’est de cette source que sortirent toutes les infortunes des deux Frédéric[3] ; c’est ce qui a fait nager l’Europe dans le sang pendant des siècles. Quelle religion que celle qui ne s’est jamais soutenue, depuis Constantin, que par des troubles civils ou par des bourreaux ! Ces temps ne sont plus ; mais gardons qu’ils ne reviennent. Cet arbre de mort, tant élagué dans ses branches, n’est point encore coupé dans sa racine, et tant que la secte romaine aura des fortunes à distribuer, des mitres, des principautés, des tiares à donner, tout

  1. Frédéric II, roi de Prusse.
  2. Saint Pierre.
  3. Frédéric Ier, dit Barberousse, et Frédéric II ; voyez les Annales de l’Empire, tome XIII.