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FRAGMENT DES INSTRUCTIONS

est à craindre pour la liberté et pour le repos du genre humain. La politique a établi une balance entre les puissances de l’Europe ; il n’est pas moins nécessaire qu’elle en forme une entre les erreurs, afin que, balancées l’une par l’autre, elles laissent le monde en paix.

On a dit souvent que la morale, qui vient de Dieu, réunit tous les esprits[1], et que le dogme, qui vient des hommes, les divise. Ces dogmes insensés, ces monstres, enfants de l’école, se combattent tous dans l’école ; mais ils doivent être également méprisés des hommes d’État ; ils doivent tous être rendus impuissants par la sagesse de l’administration. Ce sont des poisons dont l’un sert de remède à l’autre, et l’antidote universel contre ces poisons de l’âme, c’est le mépris.

IV.

Soutenez la justice, sans laquelle tout est anarchie et brigandage. Soumettez-vous-y le premier vous-même ; mais que les juges ne soient que juges, et non maîtres ; qu’ils soient les premiers esclaves de la loi, et non les arbitres. Ne souffrez jamais qu’on exécute à mort un citoyen, fût-il le dernier mendiant de vos États, sans qu’on vous ait envoyé son procès, que vous ferez examiner par votre conseil. Ce misérable est un homme, et vous devez compte de son sang.

Que les lois chez vous soient simples, uniformes, aisées à entendre de tout le monde. Que ce qui est vrai et juste dans une de vos villes ne soit pas faux et injuste dans une autre[2] : cette contradiction anarchique est intolérable.

Si jamais vous avez besoin d’argent, par le malheur des temps, vendez vos bois, votre vaisselle d’argent, vos diamants, mais jamais des offices de judicature. Acheter le droit de décider de la vie et de la fortune des hommes, c’est le plus scandaleux marché qu’on ait jamais fait. On parle de simonie : y a-t-il une plus lâche simonie que de vendre la magistrature ? car y a-t-il rien de plus saint que les lois ?

Que vos lois ne soient ni trop relâchées, ni trop sévères. Point de confiscation de biens à votre profit : c’est une tentation trop dangereuse. Ces confiscations ne sont, après tout, qu’un vol fait aux enfants d’un coupable. Si vous n’arrachez pas la vie à ces enfants innocents, pourquoi leur arrachez-vous leur patrimoine ?

  1. Voyez tome XX, page 506.
  2. Voyez tome XXIII, page 494.