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FRAGMENT DES INSTRUCTIONS

vos dépens, et aux dépens de la noblesse et du peuple. Chaque receveur porte tous les mois l’argent de sa recette à la chambre de vos finances. Le peuple n’est point foulé, et le prince n’est point volé. Vous n’avez point chez vous cette multitude de petites dignités bourgeoises, et d’emplois subalternes sans fonction, qu’on voit sortir de sous terre dans certains États où ils sont mis en vente par une administration obérée. Tous ces petits titres sont achetés chèrement par la vanité ; ils produisent aux acheteurs des rentes perpétuelles, et l’affaiblissement perpétuel de l’État.

On ne voit point chez vous cette foule de bourgeois inutiles, intitulés conseillers du prince, qui vivent dans l’oisiveté, et qui n’ont autre chose à faire qu’à dépenser à leurs plaisirs les revenus de ces charges frivoles que leurs pères ont acquises.

Chaque citoyen vit chez vous ou du revenu de sa terre, ou du fruit de son industrie, ou des appointements qu’il reçoit du prince. Le gouvernement n’est point endetté. Je n’ai jamais entendu crier ici dans les rues, comme dans un pays[1] où j’ai voyagé dans ma jeunesse : « Nouvel édit d’une constitution de rentes ; nouvel emprunt ; charges de conseiller du roi mouleur de bois, mesureur de charbon[2]. » Vous ne tomberez point dans cet avilissement, aussi ruineux que ridicule. On interdirait un comte de l’empire qui se conduirait ainsi dans sa terre ; on lui ôterait justement l’administration de son bien. Si les États dont je parle sont destinés un jour à être nos ennemis, puissent-ils se conduire selon des maximes si extravagantes !

VI.

Faites travailler vos soldats à la perfection des chemins par lesquels ils doivent marcher, à l’aplanissement des montagnes qu’ils doivent gravir, aux ports où ils doivent s’embarquer, aux fortifications des villes qu’ils doivent défendre. Ces travaux utiles les occuperont pendant la paix, rendront leurs corps plus robustes et plus capables de soutenir les fatigues de la guerre. Une légère augmentation de paye suffira pour qu’ils courent au travail avec gaieté. Telle était la méthode des Romains ; les légions firent elles-mêmes ces chemins qu’ils traversèrent pour aller conquérir l’Asie Mineure et la Syrie. Le soldat se courbe en remuant la terre, mais il se redresse en marchant à l’ennemi. Un mois

  1. La France.
  2. Voyez tome XIV, page 527 ; et XX, 260.