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508 LETTRE

comme le curé Rabelais et le curé Swift. C'est un philosophe d'autant plus dangereux qu'il est très-instruit, très-conséquent, et très-modeste. Il faut espérer qu'il se trouvera des savants qui le réfuteront mieux qu'on n'a fait jusqu'à présent.

Son plus terrible argument est que si Dieu avait daigné se faire homme et Juif, et mourir en Palestine par un supplice in- fâme pour expier les crimes du genre humain et pour bannir le péché de la terre, il ne devait plus y avoir ni péché ni crime : cependant, dit-il, les chrétiens ont été des monstres cent fois plus abominables que tous les sectateurs des autres religions ensemble. Il en apporte pour preuve évidente les massacres, les roues, les gibets, et les bûchers des Cévennes, et près de cent mille hommes égorgés dans cette province sous nos yeux ; les massacres des vallées de Piémont; les massacres de la Valteline du temps de Charles Borromée ; les massacres des anabaptistes massacreurs et massacrés en Allemagne ; les massacres des luthériens et des pa- pistes depuis le Rhin jusqu'au fond du Nord ; les massacres d'Ir- lande, d\\ngleterre, et d'Ecosse, du temps de Charles I", mas- sacré lui-même; les massacres ordonnés par Marie et par Henri VIII son père ; les massacres de la Saint-Carthélemy, en France, et quarante ans d'autres massacres depuis François II jusqu'à l'en- trée de Henri IV dans Paris; les massacres de l'Inquisition, peut- être plus abominables encore, parce qu'ils se font juridiquement; enfin les massacres de douze millions d'habitants du nouveau monde, exécutés le crucifix à la main, sans compter tous les massacres faits précédemment au nom de Jésus-Christ depuis Constantin, et sans compter encore plus de vingt schismes et de vingt guerres de papes contre papes, et d'évêques contre évêques, les empoisonnements, les assassinats, les rapines des papes Jean XI, Jean XIÏ, des Jean XVIII, des Grégoire VII, des Boni- face VIII, des Alexandre VI, et de quelques autres papes qui pas- sèrent de si loin en scélératesse les Néron et les Caligula. Enfin il remarque que cette épouvantable chaîne, presque perpétuelle, de guerres de religion pendant quatorze cents années n'a jamais subsisté que chez les chrétiens ; et qu'aucun peuple, hors eux, n'a fait couler une goutte de sang pour des arguments de théologie.

On est forcé d'accorder à M. Fréret que tout cela est vrai. Mais en faisant le dénombrement des crimes qui ont éclaté, il oublie les vertus qui se sont cachées ; il oublie surtout que les horreurs infernales dont il fait un si prodigieux étalage sont l'abus de la religion chrétienne, et n'en sont pas l'esprit. Si Jésus- Christ n'a pas détruit le péché sur la terre, qu'est-ce que cela

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