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SUR LES FRANÇAIS. 311

curé du village d'Étrepigny en Champagne, près de Rocroi, et desservait aussi une petite paroisse annexe nommée But. Son père était un ouvrier en serge, du village de Mazerny, dépendant du duché de Rethel-AIazarin. Cet homme, de mœurs irrépro- chables, et assidu à tous ses devoirs, donnait tous les ans aux pauvres de ses paroisses ce qui lui restait de son revenu. 11 mou- rut en 1733, âgé de cinquante-cinq ans. On fut bien surpris de trouver chez lui trois gros manuscrits de trois cent soixante et six feuillets chacun, tous trois de sa main et signés de lui, inti- tulés Mon Testament^. Il avait écrit sur un papier gris qui enve- loppait un des trois exemplaires adressés à ses paroissiens ces paroles remarquables :

« J"ai vu et reconnu les erreurs, les abus, les vanités, les fohes, les méchancetés des hommes. Je les hais et déteste : je n'ai osé le dire pendant ma vie; mais je le dirai au moins en mou- rant, et c'est afin qu'on le sache que j'écris ce présent mémoire, afin qu'il puisse servir de témoignage à la vérité à tous ceux qui le verront, et qui le liront si bon leur semble. »

Le corps de l'ouvrage est une réfutation naïve et grossière de tous nos dogmes sans en excepter un seul. Le style est très-robu- tant, tel qu'on devait l'attendre d'un curé de village. Il n'avait eu d'autre secours pour composer cet étrange écrit contre la Bible et contre l'Église que la Bible elle-même, et quelques Pères. Des trois exemplaires il y en eut un que le grand vicaire de Reims retint, un autre fut envoyé à M. le garde des sceaux Chauvelin, le troisième resta au greffe de la justice du lieu. Le comte de Caylus eut quelque temps entre les mains une de ces trois copies ; et bientôt après il y en eut plus de cent dans Paris, que l'on vendait dix louis la pièce. Plusieurs curieux conservent encore ce triste et dangereux monument. Un prêtre qui s'ac- cuse, en mourant, d'avoir professé et enseigné la religion chré- tienne fit une impression plus forte sur les esprits que les Pensées de Pascal.

On devait plutôt, ce me semble, réfléchir sur le travers d'es- prit de ce mélancolique prêtre, qui voulait délivrer ses parois- siens du joug d'une religion prôchée vingt ans par lui-même. Pourquoi adresser ce testament à des hommes agrestes qui ne savaient pas lire? Et, s'ils avaient pu lire, pourquoi leur ôter un joug salutaire, une crainte nécessaire qui seule peut prévenir les crimes secrets ? La croyance des peines et des récompenses après

1. Voyez, tome XXIV, page 293, VExtrait des sentiments de Jean Meslier.

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