Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome26.djvu/534

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ouvrage est très profond, et le meilleur qu’il ait fait ; j’en condamne sans doute les sentiments, mais je ne puis m’empêcher d’en estimer l’érudition. C’est lui, ce me semble, qui a remarqué le premier que le mot hébreu ruhag, que nous traduisons par âme, signifiait chez les Juifs le vent, le souffle, dans son sens naturel ; que tout ce qui est grand portait le non de divin : les cèdres de Dieu, les vents de Dieu, la mélancolie de Saül mauvais esprit de Dieu, les hommes vertueux enfants de Dieu.

C’est lui qui le premier a développé le dangereux système d’Aben Hezra, que le Pentateuque n’a point été écrit par Moïse, ni le livre de Josué par Josué ; ce n’est que d’après lui que Leclerc, plusieurs théologiens de Hollande, et le célèbre Newton, ont embrassé ce sentiment.

Newton diffère de lui seulement en ce qu’il attribue à Samuel les livres de Moïse, au lieu que Spinosa en fait Esdras auteur. On peut voir toutes les raisons que Spinosa donne de son système dans son viiie, ixe et xe chapitre : on y trouve beaucoup d’exactitude dans la chronologie ; une grande science de l’histoire, du langage, et des mœurs de son ancienne patrie ; plus de méthode et de raisonnement que dans tous les rabbins ensemble. Il me semble que peu d’écrivains avant lui avaient prouvé nettement que les Juifs reconnaissaient des prophètes chez les Gentils : en un mot, il a fait un usage coupable de ses lumières ; mais il en avait de très-grandes.

Il faut chercher l’athéisme dans les anciens philosophes : on ne le trouve à découvert que dans les Œuvres posthumes de Spinosa. Son Traité de l’athéisme n’étant point sous ce titre, et étant écrit dans un latin obscur et d’un style très-sec, M. le comte de Boulainvilliers l’a réduit en français sous le titre de Réfutation de Spinosa[1] ; nous n’avons que le poison, Boulainvilliers n’eut pas le temps apparemment de donner l’antidote.

Peu de gens ont remarqué que Spinosa, dans son funeste livre, parle toujours d’un Être infini et suprême : il annonce Dieu en voulant le détruire. Les arguments dont Bayle l’accable me paraîtraient sans réplique si en effet Spinosa admettait un Dieu : car ce Dieu n’étant que l’immensité des choses, ce Dieu étant à la fois la matière et la pensée, il est absurde, comme Bayle l’a très-bien prouvé, de supposer que Dieu soit à la fois agent et patient, cause et sujet, faisant le mal et le souffrant ; s’aimant, et se haïssant lui-même ; se tuant, se mangeant. Un bon esprit,

  1. Voyez la note 3, tome XVIII, page 365.