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SUR SPINOSA. 523

ajoute Bayle, aimerait mieux cultiver la terre avec les dents et les ongles que de cultiver une hypothèse aussi choquante et aussi absurde : car, selon Spinosa, ceux qui disent : Les Allemands ont tué dix mille Turcs, parlent mal et faussement ; ils doivent dire : Dieu, modifié en dix mille Allemands, a tué Dieu, modifié en dix mille Turcs.

Bayle a très-grande raison, si Spinosa reconnaît un Dieu ; mais le fait est qu’il n’en reconnaît point du tout, et qu’il ne s’est servi de ce mot sacré que pour ne pas trop effaroucher les hommes.

Entêté de Descartes, il abuse de ce mot également célèbre et insensé de Descartes : Donnez-moi du mouvement et de la matière, et je vais former un monde.

Entêté encore de l’idée incompréhensible et antiphysique que tout est plein, il s’est imaginé qu’il ne peut exister qu’une seule substance, un seul pouvoir qui raisonne dans les hommes, sent et se souvient dans les animaux, étincelle dans le feu, coule dans les eaux, roule dans les vents, gronde dans le tonnerre, végète sur la terre, est étendu dans tout l’espace.

Selon lui, tout est nécessaire, tout est éternel ; la création est impossible ; point de dessein dans la structure de l’univers, dans la permanence des espèces, et dans la succession des individus. Les oreilles ne sont plus faites pour entendre, les yeux pour voir, le cœur pour recevoir et chasser le sang, l’estomac pour digérer. la cervelle pour penser, les organes de la génération pour donner la vie ; et des desseins divins ne sont que les effets d’une nécessité aveugle.

Voilà au juste le système de Spinosa. Voilà, je crois, les côtés par lesquels il faut attaquer sa citadelle : citadelle bâtie, si je ne me trompe, sur l’ignorance de la physique et sur l’abus le plus monstrueux de la métaphysique.

Il semble, et on doit s’en flatter, qu’il y ait aujourd’hui peu d’athées. L’auteur de la Henriade a dit^ : « Un catéchiste annonce Dieu aux enfants, et Newton le démontre aux sages. » Plus on connaît la nature, plus on adore son auteur.

L’athéisme ne peut faire aucun bien à la morale, et peut lui faire beaucoup de mal. Il est presque aussi dangereux que le fanatisme. Vous êtes, monseigneur, également éloigné de l’un et de l’autre, et c’est ce qui autorise la liberté que j’ai prise de mettre la vérité sous vos yeux sans aucun déguisement. J’ai

4. Voyez tome XVIf, page 476; XX, 50G; X\I, 553.

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