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DE BOULAINVILLIERS. 035

LE COMTE.

Non : ce sont les paroles d'un esclave païen, nommé Épictète^, et l'empereur Marc-Aurèle n'a jamais pensé autrement que cet esclave.

l'abbé.

Je me souviens en effet d'avoir lu, dans ma jeunesse, des pré- ceptes de morale dans des auteurs païens, qui me firent une grande impression : je vous avouerai même que les lois deZaleu- cus, de Cliarondas, les conseils de Confucius, les commande- ments moraux de Zoroastre, les maximes de Pythagore, me paru- rent dictés par la sagesse pour le bonheur du genre humain : il me semblait que Dieu avait daigné honorer ces grands hommes d'une lumière plus pure que celle des hommes ordinaires, comme il donna plus d'harmonie à Virgile, plus d'éloquence à Cicéron, et plus de sagacité à Archimède, qu'à leurs contemporains. J'étais frappé de ces grandes leçons de vertu que l'antiquité nous a lais- sées. Mais enfin tous ces gens-là ne connaissaientpas la théologie; ils ne savaient pas quelle est la différence entre un chérubin et un séraphin, entre la grâce efficace, à laquelle on ne peut résister, et la grâce suffisante, qui ne suffit pas ; ils ignoraient que Dieu était mort, et qu'ayant été crucifié. pour tous il n'avait pourtant été crucifié que pour quelques-uns. Ah ! monsieur le comte, si les Scipion, les Cicéron, les Caton, les Épictète, les Antonins, avaient su que « le Père a engendré le Fils, et qu'il ne l'a pas fait; que l'Esprit n'a été ni engendré ni fait, mais qu'il procède par spiration tantôt du Père et tantôt du Fils ; que le Fils a tout ce qui appartient au Père, mais qu'il n'a pas la paternité » ; si, dis-je, les anciens, nos maîtres en tout, avaient pu connaître cent vérités de cette clarté et de cette force; enfin, s'ils avaient été théolo- giens, quels avantages n'auraient-ils pas procurés aux hommes ! La consubstantialité surtout, monsieur le comte, la transsubstan- tiation, sont de si belles choses ! Plût au ciel que Scipion, Cicé- ron et Marc-Aurèle, eussent approfondi ces vérités! ils auraient pu être grands vicaires de monseigneur l'archevêque, ou syndics de la Sorbonne.

LE COMTE.

Çà, dites-moi en conscience, entre nous et devant Dieu, si vous pensez que les âmes de ces grands hommes soient à la broche, éternellement rôties par les diables, en attendant qu'elles aient trouvé leur corps, qui sera éternellement rôti avec elles et cela pour n'avoir pu être syndics de Sorbonne et grands vicaires de monseigneur l'archevêque ?

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