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DE BOULAINVILLIERS. 531

preuve assez forte que le christianisme et la raison ne peuvent subsister ensemble. Il ne reste qu'un seul remède dans l'état où sont les choses, encore n'est-il qu'un palliatif : c'est de rendre la religion absolument dépendante du souverain et des magistrats.

M. FRÉRET.

Oui, pourvu que le souverain et les magistrats soient éclairés, pourvu qu'ils sachent tolérer également toute religion, regarder tous les hommes comme leurs frères, n'avoir aucun égard à ce qu'ils pensent, et en avoir beaucoup à ce qu'ils font; les laisser libres dans leur commerce avec Dieu, et ne les enchaîner qu'aux lois dans tout ce qu'ils doivent aux hommes. Car il faudrait traiter comme des bêtes féroces des magistrats qui soutiendraient leur religion par des bourreaux.

l'abbé.

Et si toutes les religions étant autorisées, elles se battent toutes les unes contre les autres? Si le catholique, le protestant, le grec, le turc, le juif, se prennent parles oreilles en sortant de la messe, du prêche, de la mosquée, et de la synagogue?

M. FRÉRET.

Alors il faut qu'un régiment de dragons les dissipe.

LE COMTE.

J'aimerais mieux encore leur donner des leçons de modéra- tion que de leur envoyer des régiments; je voudrais commencer par instruire les hommes avant de les punir.

l'abbé.

Instruire les hommes! que dites-vous, monsieur le comte? Les en croyez-vous dignes?

le comte.

J'entends; vous pensez toujours qu'il ne faut que les tromper : vous n'êtes qu'à moitié guéri : votre ancien mal vous reprend toujours.

LA COMTESSE.

A propos, j'ai oublié de vous demander votre avis sur une chose que je lus hier dans l'histoire de ces bons mahométans, qui m'a beaucoup frappée. Assan, fils d'Ali, étant au bain, un de ses esclaves lui jeta par mégarde une chaudière d'eau bouillante sur le corps. Les domestiques d'Assan voulurent empaler le cou- pable. Assan, au lieu de le faire empaler, lui fit donner vingt pièces d'or. « Il y a, dit-il, un degré de gloire dans le paradis pour ceux qui payent les services, un plus grand pour ceux qui pardonnent le mal, et un plus grand encore pour ceux qui récompensent le mal involontaire. » Comment trouvez-vous cette action et ce discours?

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