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L’ÉPÎTRE

Au commencement du iie siècle il n’y avait point de surveillant, d’épiscopos, d’évêque revêtu d’une dignité réelle pour sa vie, attaché irrévocablement à un certain siége, et distingué des autres hommes par ses habits ; tous les évêques mêmes furent vêtus comme des laïques jusqu’au milieu du ve siècle. L’assemblée était dans la salle d’une maison retirée. Le ministre était choisi par les initiés, et exerçait tant qu’on était content de son administration. Point d’autel, point de cierge, point d’encens : les premiers Pères de l’Église ne parlent qu’avec horreur des autels et des temples[1]. On se contentait de faire des collectes d’argent, et de souper ensemble. La société chrétienne s’étant secrètement multipliée, l’ambition voulut faire une hiérarchie ; comment s’y prend-on ? Les fripons qui conduisaient les enthousiastes leur font accroire qu’ils ont découvert les Constitutions apostoliques écrites par saint Jean et par saint Matthieu ; « quae ego Matthaeus et Joannes vobis tradidimus[2] ». C’est là qu’on fait dire à Matthieu : « Gardez-vous de juger votre évêque, car il n’est donné qu’aux prêtres d’être juges[3]. » C’est là où Matthieu et Jean disent : « Autant que l’âme est au-dessus du corps, autant le sacerdoce l’emporte sur la royauté : regardez votre évêque comme un roi, comme un maître absolu, dominum ; donnez-lui vos fruits, vos ouvrages, vos prémices, vos décimes, vos épargnes, les prémices, les décimes de votre vin, de votre huile, de vos blés[4], etc. Que l’évêque soit un dieu pour vous, et le diacre un prophète[5]. Dans les festins, que le diacre ait double portion, et le prêtre le double du diacre ; et s’ils ne sont pas à table, qu’on envoie les portions chez eux[6]. »

Vous voyez, Romains, l’origine de l’usage où vous êtes de mettre la nappe pour donner des indigestions à vos pontifes ; et plût à Dieu qu’ils ne s’en fussent tenus qu’au péché de la gourmandise !

Au reste, dans cette imposture des Constitutions des apôtres, remarquez bien attentivement que c’est un monument authentique des dogmes du iie siècle, et que cet ouvrage de faussaire rend hommage à la vérité, en gardant un silence absolu sur des innovations qu’on ne pouvait prévoir, et dont vous avez été inondés

  1. Justin et Tertullien. (Note de Voltaire.)
  2. Constitutions apostoliques, liv. II, ch. lvii. (Id.)
  3. Liv.II, ch. xxxvi. (Id.)
  4. Liv. II, ch. xxxiv. (Id.)
  5. Ibid., ch. xxx. (Id.)
  6. Ibid., ch. xxxviii. (Id.)