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romains sous Auguste, et il est avéré que ceux qui en ont supposé deux se sont trompés. Il est encore avéré, par l’histoire et par les médailles, que Cirénius ou Quirinius n’était point gouverneur de Syrie quand Jésus naquit, et que la Syrie était gouvernée par Quintilius Varus. Cependant voici comme Luc s’exprime[1] : « Dans ces jours émana un édit de César Auguste, qu’il fût fait un dénombrement de tout l’univers. Ce fut le premier dénombrement, lequel fut fait par Cirénius ou Quirinius, président de Judée ; et comme chacun allait se faire enregistrer dans sa ville, Joseph monta de la ville de Galilée Nazareth à la cité de David Bethléem en Judée, parce qu’il était de la maison et de la famille de David. »

Nous avouons qu’il n’y a presque pas un mot dans ce récit qui ne semble d’abord une erreur grossière. Il faut lire saint Justin, saint Irénée, saint Ambroise, saint Cyrille, Flavius Josèphe, Hervart, Périzonius, Casaubon, Grotius, Leclerc, pour se tirer de cette difficulté ; et quand on les a lus, la difficulté augmente.

Le chapitre XXI de Luc vous jette dans de plus grandes perplexités : il semble prédire la fin du monde pour la génération qui existait alors. Il y est dit expressément[2] que « le fils de l’homme viendra dans une nuée avec une grande puissance et une grande majesté ». Saint Paul[3] et saint Pierre[4] annoncent clairement la fin du monde pour le temps où ils vivent.

Nous avons plus de cinquante explications de ces passages, lesquels n’expliquent rien du tout. Vous n’entendrez jamais saint Paul, si vous ne lisez tout ce que les rabbins ont dit de lui, et si vous ne conférez les Actes de Thècle avec ceux des apôtres. Vous n’aurez aucune connaissance du ier siècle de l’Église, si vous ne lisez le Pasteur d’Hermas, les Récognitions de Clément, les Constitutions apostoliques, et tous les ouvrages de ce temps-là, écrits sous des noms supposés. Vous verrez dans les siècles suivants une foule de dogmes, tous détruits les uns par les autres. Il est très-difficile de démêler comment le platonisme se fondit peu à peu dans le christianisme ; vous ne trouvez plus qu’un chaos de disputes que dix-sept cents ans n’ont pu débrouiller. Ah ! notre frère ! une bonne action vaut mieux que toutes ces recherches : soyons doux, modestes, patients, bienfaisants. Ne barbotons plus dans les cloaques de la théologie, et lavons-nous dans les eaux pures de la raison et de la vertu.

  1. II, 1, 2, 3, 4.
  2. Verset 27.
  3. I. Aux Thessal., IV, 17.
  4. Ire épître, IV, 7.