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126 DES SINGULARITÉS

contre la foule crédule, qui est pour un temps l’écho d’un seul homme.

Souvenons-nous que les tourbillons de Descartes se sont évanouis ; qu’il ne reste rien de ses trois éléments, presque rien de sa description de l’homme ; que deux de ses lois du mouvement sont fausses ; que son système sur la lumière est erroné ; que ses idées innées sont rejetées, etc., etc., etc.

Songeons que les systèmes de Burnet, de Woodward, de Whiston, sur la formation de la terre, n’ont pas aujourd’hui un partisan ; qu’on commence, en Allemagne même, à regarder les monades, l’harmonie préétablie, et la Théodicée de l’ingénieux et profond Leibnitz, comme des jeux d’esprit, oubliés en naissant dans tout le reste de l’Europe. Plus on a découvert de vérités dans le siècle de Newton, plus on doit bannir les erreurs qui souilleraient ces vérités. On a fait une ample moisson ; mais il faut cribler le froment, et rejeter l’ivraie.

Dans la physique, comme dans toutes les affaires du monde, commençons par douter : c’est le premier précepte d’Aristote et de Descartes. Mais on a cru en France que Descartes était l’inventeur de cette maxime.

Examinons par nos yeux et par ceux des autres. Craignons ensuite d’établir des règles générales. Celui qui, n’ayant vu que des bipèdes et des quadrupèdes, enseignerait que la génération ne s’opère que par l’union d’un mâle et d’une femelle se tromperait lourdement.

Celui qui, avant l’invention de la greffe, aurait affirmé que les arbres ne peuvent jamais porter que des fruits de leur espèce n’aurait avancé qu’une erreur.

Il y a près d’un siècle qu’on crut avoir découvert un satellite de Vénus, Depuis, un célèbre observateur anglais[1] vit ou crut voir ce satellite ; on a cru aussi le voir en France : cependant les astronomes n’en ont rien vu. Il peut exister; mais attendons.

L’analogie pourrait attribuer à plus forte raison un satellite à Mars, qui est beaucoup plus éloigné du soleil que nous ; ce satellite serait plus aisé à découvrir : cependant on ne l’a jamais aperçu. Le plus sûr est donc toujours de n’être sûr de rien, ni dans le ciel ni sur la terre, jusqu’à ce qu’on en ait des nouvelles bien constatées. Caliginosa nocte premit Deus : « Dieu couvre, dit Horace[2], ses secrets d’une nuit profonde. »

  1. Short.
  2. Livre III, ode XXXIX, vers 30.