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DES 3I0NTAGNES. 139

PoLir qu'on puisse s'assurer de la fin véritable pour laquelle une cause agit, il faut que cet effet soit de tous les temps et de tous les lieux. Il n'y a pas eu des vaisseaux en tout temps et sur toutes les mers : ainsi l'on ne peut pas dire que l'Océan ait été fait pour les vaisseaux. Nous avons remarqué ailleurs ^ que les nez n'avaient pas été faits pour porter des lunettes, ni les mains pour être gantées. On sent combien il serait ridicule de prétendre que la nature eût travaillé de tout temps pour s'ajuster aux in- ventions de nos arts arbitraires, qui tous ont paru si tard; mais il est bien évident que si les nez n'ont pas été faits pour les besi- cles, ils l'ont été pour l'odorat; et qu'il y a des nez depuis qu'il y a des liommes. De même, les mains n'ayant pas été données en faveur des gantiers, elles sont visiblement destinées à tous les usages que le métacarpe, les phalanges de nos doigts, et les mouvements du muscle circulaire du poignet, nous procurent.

Cicéron, qui doutait de tout, ne doutait pas pourtant des causes finales.

Il paraît bien difficile surtout que les organes de la génération ne soient pas destinés à perpétuer les espèces. Ce mécanisme est bien admirable; mais la sensation que la nature a jointe à ce mécanisme est plus admirable encore. Épicure devait avouer que le plaisir est divin, et que ce plaisir est une cause finale par laquelle sont produits sans cesse ces êtres sensibles qui n'ont pu se donner la sensation.

Cet Épicure était un grand homme pour son temps; il vit ce que Descartes a nié, ce que Gassendi a affirmé, ce que Newton a démontré, qu'il n'y a point de mouvement sans vide. Il conçut la nécessité des atomes pour servir de parties constituantes aux es- pèces invariables. Ce sont là des idées très-philosophiques. Rien n'était surtout plus respectable que la morale des vrais épicuriens: elle consistait dans l'éloignement des affaires publiques, incom- patibles avec la sagesse, et dans l'amitié, sans laquelle la vie est un fardeau. Mais pour le reste de la physique d'Épicure, elle ne paraît pas plus admissible que la matière cannelée de Descartes.

Enfin les chaînes de montagnes qui couronnent les deux hé- misphères, et plus de six cents fleuves qui coulent jusqu'aux mers du pied de ces rochers, toutes les rivières qui descendent de ces mêmes réservoirs, et qui grossissent les fleuves après avoir

1. Dans le chapitre i""" de Candide (voyez tome XXI, page 138); et dans l'article Fin de la première édition du Dictionnaire philosophique, en imi;a,riic\e qui forme aujourd'hui la 3" section des Caises iixales (voj'ez tome XVIII, page 104).

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