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DE LA PRÉTENDUE RAGE D'ANGUILLES. 159

pourtant si nécessaire au progrès des sciences quand il n'est que l'esprit d'ordre, et qu'il est réglé par la raison.

��CHAPITRE XX.

DE LA PRÉTENDUE RACE d'aNOUILLES FORMEES DE FARINE ET DE JUS DE MOUTON.

Celui ^ qui a dit le premier qu'il n'y a point de sottise dont l'esprit humain ne soit capable^ était un grand prophète. Un jésuite irlandais, nommé Needham ^ qui voyageait dans l'Europe en habit séculier, fit des expériences à l'aide de plusieurs micro- scopes. Il crut apercevoir dans de la farine de blé ergoté, mise au four et laissée dans un vase purgé d'air et bien bouché ; il crut apercevoir, dis-je, des anguilles qui accouchaient bientôt d'autres anguilles. Il s'imagina voir le même phénomène dans du jus de mouton bouilli. Aussitôt plusieurs philosophes s'efforcèrent de crier merveille, et de dire : Il n'y a point de germe ; tout se fait, tout se régénère par une force vive de la nature. C'est l'attraction, disait l'un ; c'est la matière organisée, disait l'autre ; ce sont des molécules organiques vivantes qui ont trouvé leurs moules. De bons physiciens furent trompés par un jésuite. C'est ainsi qu'un commis des fermes* en Basse-Bretagne fit accroire à tous les beaux esprits de Paris qu'il était une jolie femme, laquelle fai- sait très-bien des vers °. Il faut avouer que ce fut la honte éter- nelle de l'esprit humain que ce malheureux empressement de plusieurs philosophes à bâtir un système universel sur un fait particulier qui n'était qu'une méprise ridicule, indigne d'être relevée. On ne douta pas que la farine de mauvais blé formant des anguilles, celle de bon froment ne produisît des hommes.

L'erreur accréditée jette quelquefois de si profondes racines que bien des gens la soutiennent encore lorsqu'elle est reconnue et tombée dans le mépris, comme quelques journaux historiques

��1. Dans l'édition originale, ce chapitre commençait ainsi : «Précisément, dans le même temps, un jésuite irlandais, nommé, etc. » Le texte actuel a paru pour la première fois dans les éditions de Kehl. (B.)

2. Voyez tome XF, pa-e G7; XXII, page 434; XXV, page 502.

3. Voyez tome XXV, page 358.

4. Desforges-Maillard.

5. La fin de cet alinéa n'avait pas encore été imprimée lorsqu'on 1819 je rajou- tai, d'après un manuscrit que me communiqua Decroix. (B.)

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