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222 LES COLIMAÇONS.

essentielles à la machine du globe, comme les os le sont aux bipèdes et aux quadrupèdes?

Mais la mer a quitté ses rivages ; elle a laissé à sec les ruines de Cajtliage ; Ravenne n'est plus un port de mer, etc. Eh bien ! parce que la mer se sera retirée de 10 à 20,000 pas d'un côté cela prouTe-t-il qu'elle ait voyagé pendant des multitudes de siècles, à 1,000, à 2,000 lieues sur la cime des montagnes? « Oui, dites-vous, car on trouve partout des coquilles de mer, et le porphyre n'est composé que de pointes d'oursin. Il y a des glossopètres, des langues de chiens marins pétrifiées sur les plus hautes montagnes ; les cornes d'Ammon, qui sont des pétrifica- tions du nautilus, poisson des Indes, sont communes dans les Alpes: enfin le falun de Touraine, avec lequel on fume les terres, est un long amas de coquilles. On voit de ces tas de coquilles aux environs de Paris et de Reims, etc. »

J'ai vu une partie de tout cela, et j'ai douté. Quand la mer serait venue insensiblement jusqu'en Champagne, et s'en serait retournée insensiblement dans la suite des temps, cela ne prou- verait pas qu'elle eût monté sur le mont Saint-Rernard. J'y ai cherché des huîtres, je n'y en ai point trouvé. En dernier lieu tout l'état-major qui a mesuré cette chaîne horrible de rochers n'y a pas vu le moindre vestige de coquilles. Les bords escarpés du Rhône en sont incrustés; mais c'est évidemment de coquilles de colimaçons, de bivalves, de petits testacés, très-fréquents dans tous les lacs voisins. De coquilles de mer, on n'en trouve jamais.

Il n'y a pas longtemps que, dans un de mes champs, à 150 lieues des côtes de Normandie, un laboureur déterra vingt-quatre dou- zaines d'huîtres; on cria miracle : c'étaient des huîtres qu'on m'avait envoyées de Dieppe il y avait trois ans. Je suis de l'avis de l'Homme aux quarante écus, qui dit ^ que des médailles romaines, trouvées au fond d'une cave à 600 lieues de Rome, ne prouvent pas qu'elles avaient été fabriquées dans cette cave. Quant au falun de Touraine , dont on se sert pour fumer les terres, si c'étaient des coquilles de mer elles feraient assurément un très-mauvais fumier, et on aurait une pauvre récolte. J'ai ouï dire à des Touran- geaux qu'il n'y a pas une seule vraie coquille dans ces minières ; que c'est une masse de pierres calcaires calcinées par le temps, ce qui est très-vraisemblable. En eifet, si la mer avait déposé dans une suite prodigieuse de siècles ces lits de petits crustacés, pour- (]uoi n'en trouverait-t-on pas autant dans les autres provinces ?

1. Voj-ez tome XXI, page 332; et aussi XXVI, 407.

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