Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome27.djvu/316

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

XVIII. — Vous direz comment Marie et Joseph emmenèrent leur enfant en Égypte selon Matthieu, et comment, selon Luc, la famille resta à Bethléem. Vous expliquerez toutes les autres contradictions qui sont nécessaires à salut. Il y a de très-belles choses à dire sur l’eau changée en vin aux noces de Cana pour des gens qui étaient déjà ivres, car Jean, le seul qui en parle, dit expressément[1] qu’ils étaient ivres, et cum inebriati fuerint, dit la Vulgate.

Lisez surtout les Questions de Zapata[2], docteur de Salamanque, sur le massacre des innocents par Hérode ; sur l’étoile des trois rois ; sur le figuier séché pour n’avoir pas porté de figues quand ce n’était pas le temps des figues[3], comme dit le texte. Ceux qui font d’excellents jambons à Bayonne et en Vestphalie s’étonnent qu’on ait envoyé le diable[4] dans le corps de deux mille cochons, et qu’on les ait noyés dans un lac. Ils disent que, si on leur avait donné ces cochons au lieu de les noyer, ils y auraient gagné plus de vingt mille florins de Hollande, s’ils avaient été gras. Êtes-vous du sentiment du révérend père Lemoine, qui dit que Jésus-Christ devait avoir une dent contre le diable, et qu’il fit fort bien de le noyer, puisque le diable l’avait emporté sur le haut d’une montagne ?

XIX. — Quand vous aurez mis toutes ces choses dans le jour qu’elles méritent, nous vous recommandons avec la plus vive instance de justifier Luc, lequel ayant écrit le dernier après tous les autres évangélistes[5], étant mieux informé que tous ses confrères, et ayant tout examiné diligemment depuis le commencement, comme il le dit[6], doit être un auteur très-respectable. Ce respectable Luc assure que lorsque Marie fut prête d’accoucher, César Auguste, qui apparemment s’en doutait, ordonna, pour remplir les prophéties, qu’on fît un dénombrement de toute la terre, et Quirinus, gouverneur de Syrie, publia cet édit en Judée. Les impies, qui ont le malheur d’être savants, vous diront qu’il n’y a pas un mot de vrai ; que jamais Auguste ne

  1. Cet expressément est une plaisanterie, car Jean (chap. ii, verset 10) fait dire au maître d’hôtel, en général, et sans allusion aux convives des noces de Cana : « Omnis homo primum bonum vinum ponit ; et cum inebriati fuerint, tunc id quod deterius est. » (Cl.)
  2. Tome XXVI, page 186.
  3. Matt., XI, 19 ; Marc, xi, 13.
  4. Matt., VIII, 32 ; Marc, v, 13.
  5. Excepté saint Jean, qui écrivit son Évangile vers l’an 96, plusieurs années après la mort de saint Luc. (Cl.)
  6. Luc, I, 3.