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L'A, B, C. 323

Que l'honneur soit le principe des seules monarchies, ce n'est pas une idée moins chimérique ; et il le fait bien voir lui- même sans y penser, (( La nature de l'honneur, dit-il au cha- pitre VII du livre III, est de demander des préférences et des distinctions. Il est donc, par la chose [même, placé dans le gou- vernement monarchique, n

Certainement, par la chose même, on demandait, dans la république romaine, la préture, le consulat, l'ovation, le triom- phe ; ce sont là des préférences, des distinctions qui valent bien les titres qu'on achète souvent dans les monarchies, et dont le tarif est fixé. Il y a un autre fondement de son livre qui ne me paraît pas porter moins à faux : c'est la division des gouverne- ments en républicain, en monarchique, et en despotique *.

Il a plu à nos auteurs (je ne sais trop pourquoi) d'appeler despotes les souverains de l'Asie et de l'Afrique ; on entendait autrefois par un despote un petit prince d'Europe, vassal du Turc, et vassal amovible, une espèce d'esclave couronné gouver- nant d'autres esclaves. Ce mot despote, dans son origine, avait signifié, chez les Grecs, maître de maison, pire de famille. Nous donnons aujourd'hui libéralement ce titre à l'empereur de Maroc, au Grand Turc, au pape, à l'empereur de la Chine, Mon- tesquieu, au commencement du second livre (chap. i), définit ainsi le gouvernement despotique : a Un seul homme, sans loi et sans règle, entraîne tout par sa volonté et par ses caprices, »

Or il est très-faux qu'un tel gouvernement existe, et il me paraît très-faux qu'il puisse exister. VAlcoran et les commen- taires approuvés sont les lois des musulmans : tous les mo- narques de cette religion jurent sur VAlcoran d'observer ces lois.

��républiques, et l'honneur seul celui des monarchies ; mais il y aurait eu encore une autre observation à faire. C'est qu'il existe dans toute constitution où le bien est possible un esprit public, un amour de la patrie différent du patriotisme répu- blicain ; cet esprit public tient à l'intérêt que tout homme qui n'est point dépravé prend nécessairement au bonheur des hommes qui l'entourent, au penchant natu- rel que les hommes ont pour ce qui est juste et raisonnable. Une mauvaise con- stitution, un établissement mal dirigé, choquent l'esprit comme une table dont les pieds n'auraient pas la même forme choquerait les yeux. Il fallait donc se borner à dire que l'amour du bien public n'est pas le même dans les monarchies que dans les républiques; qu'il est, dans ces dernières, plus actif, plus habituel, plus répandu; mais que, dans les monarchies, il est souvent plus éclairé, plus pur, moins contraire à la morale universelle.

Une opinion susceptible de tant de sens différents, et qui, dans aucun, n'est rigoureusement exacte, ne peut guère être utile pour apprendre à juger des effets bons ou mauvais d'une loi. (K.)

1. Liv. II, ch. I.

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