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L’A, B, C. 333

C.

Vous m’étonnez ; quoi ! c’est suivre la nature que de sacrer un archevêque de Cantorbéry ? d’appeler un Allemand transplanté chez vous[1] Votre Majesté ? de ne pouvoir épouser qu’une seule femme, et de payer plus du quart de votre revenu tous les ans ? sans compter bien d’autres transgressions contre la nature dont je ne parle pas.

A.

Je vais pourtant vous le prouver, ou je me trompe fort. N’est- il pas vrai que l’instinct et le jugement, ces deux fils aînés de la nature, nous enseignent à chercher en tout notre bien-être, et à procurer celui des autres, quand leur bien-être fait le nôtre évidemment ? N’est-il pas vrai que si deux vieux cardinaux se rencontraient à jeun et mourants de faim sous un prunier, ils s’aide- raient tous deux machinalement à monter sur l’arbre pour cueillir des prunes, et que deux petits coquins de la Forêt-Noire ou des Chicachas en feraient autant ?

B.

Eh bien ! qu’en voulez-vous conclure ?

A.

Ce que ces deux cardinaux et les deux margajats en concluront, que dans tous les cas pareils il faut s’entr’aider. Ceux qui fourniront le plus de secours à la société seront donc ceux qui suivront la nature de plus près. Ceux qui inventeront les arts (ce qui est un grand don de Dieu), ceux qui proposeront des lois (ce qui est infiniment plus aisé), seront donc ceux qui auront le mieux obéi à la loi naturelle : donc, plus les arts seront cultivés et les propriétés assurées, plus la loi naturelle aura été en effet observée. Donc, lorsque nous convenons de payer trois schellings en commun par livre sterling, pour jouir plus sûrement de dix- sept autres schellings ; quand nous convenons de choisir un Allemand pour être, sous le nom de roi, le conservateur de notre liberté, l’arbitre entre les lords et les communes, le chef de la république ; quand nous n’épousons qu’une seule femme par économie, et pour avoir la paix dans la maison ; quand nous tolérons (parce que nous sommes riches) qu’un archevêque de Cantorbéry ait douze mille pièces de revenu pour soulager les pauvres, pour prêcher la vertu s’il sait prêcher, pour entretenir la paix

27. — Mélanges. VI. 23

  1. Georges 1er, roi d’Angleterre en 1714, était électeur de Hanovre.