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COMMENTAIRE SUR MALEBRANCHE.


fange, ne se mêle point avec elle, et qu’elle y conserve son essence invisible ; mais il vaut mieux avouer que la lumière la plus pure ne peut représenter Dieu. La lumière émane du soleil, et tout émane de Dieu. Nous ne savons pas comment ; mais nous ne pouvons, encore une fois, concevoir Dieu que comme l’Être nécessaire de qui tout émane. Le vulgaire le regarde comme un despote qui a des huissiers dans son antichambre.

Nous croyons que toutes les images sous lesquelles on a représenté ce principe universel, nécessairement existant par lui-même, nécessairement agissant dans l’étendue immense, sont encore plus erronées que la comparaison tirée du soleil et de ses rayons. On l’a peint assis sur les vents, porté dans les nuages, entouré des éclairs et des tonnerres, parlant aux éléments, soulevant les mers : tout cela n’est que l’expression de notre petitesse. Il est au fond très-ridicule de placer dans un brouillard, à une demi-lieue de notre petit globe, le principe éternel de tous les millions de globes qui roulent dans l’immensité. Nos éclairs et nos tonnerres, qui sont vus et entendus quatre ou cinq lieues à la ronde tout au plus, sont de petits effets physiques perdus dans le grand tout, et c’est ce grand tout qu’il faut considérer quand c’est Dieu dont on parle.

Ce ne peut être que la même vertu qui pénètre de notre système planétaire aux autres systèmes planétaires qui sont plus éloignés mille et mille fois de nous que notre globe ne l’est de Saturne. Les mêmes lois éternelles régissent tous les astres, car si les forces centripètes et centrifuges dominent dans notre monde, elles dominent dans le monde voisin, et ainsi dans tous les univers. La lumière de notre soleil et de Sirius doit être la même ; elle doit avoir la même ténuité, la même rapidité, la même force ; s’échapper également en ligne droite de tous les côtés, agir également en raison directe du carré de la distance.

Puisque la lumière des étoiles, qui sont autant de soleils, vient à nous dans un temps donné, la lumière de notre soleil parvient à elles réciproquement dans un temps donné. Puisque ces traits, ces rayons de notre soleil, se réfractent, il est incontestable que les rayons des autres soleils, dardés de même dans leurs planètes, s’y réfractent précisément de la même façon s’ils y rencontrent les mêmes milieux[1].

  1. Cette conjecture de M. de Voltaire, que la lumière des étoiles est de la même nature que celle du soleil, a été rigoureusement vérifiée par les expériences de M. l’abbé Rochon, qui est parvenu à la décomposer. (K.)