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TOUT EN DIEU,


DIEU INSÉPARABLE DE TOUTE LA NATURE.

Il ne faut pas inférer de là qu’il touche sans cesse à ses ouvrages par des volontés et des actions particulières. Nous faisons toujours Dieu à notre image. Tantôt nous le représentons comme un despote[1] dans son palais, ordonnant à des domestiques ; tantôt comme un ouvrier occupé des roues de sa machine. Mais un homme qui fait usage de sa raison peut-il concevoir Dieu autrement que comme principe toujours agissant ? S’il a été principe une fois, il l’est donc à tout moment, car il ne peut changer de nature. La comparaison du soleil et de sa lumière avec Dieu et ses productions est sans doute imparfaite ; mais enfin elle nous donne une idée, quoique très-faible et fautive, d’une cause toujours subsistante, et de ses effets toujours subsistants.

Enfin je ne prononce le nom de Dieu que comme un perroquet, ou comme un imbécile, si je n’ai pas l’idée d’une cause nécessaire, immense, agissante, présente à tous ses effets, en tout lieu, en tout temps.

On ne peut m’opposer les objections faites à Spinosa. On lui dit qu’il faisait un Dieu intelligent et brute, esprit et citrouille, loup et agneau, volant et volé, massacrant et massacré ; que son Dieu n’était qu’une contradiction perpétuelle ; mais ici on ne fait point Dieu l’universalité des choses : nous disons que l’universalité des choses émane de lui, et pour nous servir encore de l’indigne comparaison du soleil et de ses rayons, nous disons qu’un trait de lumière lancé du globe du soleil, et absorbé dans le plus infect des cloaques, ne peut laisser aucune souillure dans cet astre. Ce cloaque n’empêche pas que le soleil ne vivifie toute la nature dans notre globe.

On peut nous objecter encore que ce rayon est tiré de la substance même du soleil ; qu’il en est une émanation, et que si les productions de Dieu sont des émanations de lui-même, elles sont des parties de lui-même. Ainsi nous retomberions dans la crainte de donner une fausse idée de Dieu, de le composer de parties, et même de parties désunies, de parties qui se combattent. Nous répondrons ce que nous avons déjà dit, que notre comparaison est très-imparfaite, et qu’elle ne sert qu’à former une faible image d’une chose qui ne peut être représentée par des images. Nous pourrions dire encore qu’un trait de lumière, pénétrant dans la

  1. Voyez ci-après les Adorateurs, ou les Louanges de Dieu.