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DE LA MÉTEMPSYCOSE, ETC.

mourant une vache par la queue ? et surtout pourquoi, depuis plus de trois mille ans, les veuves indiennes se font-elles un point d’honneur et de religion de se brûler sur le corps de leurs maris[1] ?

J’ai lu d’un bout à l’autre les rites des brames anciens et nouveaux dans le livre du Cormo-Veidam. Ce ne sont que des cérémonies fatigantes, des idées mystiques de contemplation et d’union avec Dieu ; mais je n’y ai rien vu qui ait le moindre rapport à la queue de vache qui sanctifie les Indiens à la mort. Je n’y ai pas lu un seul mot concernant le précepte ou le conseil donné aux veuves de se brûler sur le bûcher de leurs époux. Apparemment ces deux coutumes anciennes, l’une extravagante, l’autre horrible, ont été d’abord pratiquées par quelque cerveau creux, et d’autres cerveaux encore plus creux enchérirent sur lui. Une femme s’arrache les cheveux, se meurtrit le visage à la mort de son mari. Une seconde se fait quelques blessures, une troisième se brûle, et, avant de se brûler, elle donne de l’argent aux prêtres. Ceux-ci ne manquent pas d’exhorter les femmes à suivre un si bel exemple. Bientôt il y a de la honte à ne se pas brûler. Toutes les coutumes révoltantes n’ont guère eu d’autre origine. Les législateurs sont d’ordinaire des gens d’assez bon sens, qui ne commandent rien qui soit trop absurde et trop contraire à la nature. Ils augmentent seulement la vogue d’un usage singulier quand il est déjà reçu. Mahomet n’invente point la circoncision, mais il la trouve établie. Il avait été circoncis lui-même. Numa n’ordonne rien d’impertinent ni de révoltant. On ne lit point que Minos ait donné aux Crétois des préceptes ridicules ; mais il y a des peuples plus enthousiastes que les autres, chez qui on outre et on défigure tous les préceptes des premiers législateurs ; et nous en avons de terribles exemples chez nous. Les usages extravagants et barbares s’établissent tout seuls, il n’y a qu’à laisser faire le peuple.

Ce qui est très-remarquable, c’est que ces mêmes brachmanes, qui sont d’une antiquité si reculée, sont les seuls prêtres dans le monde qui aient conservé à la fois leurs anciens dogmes et leur crédit. Ils forment encore la première tribu, la première caste, depuis le rivage du Gange jusqu’aux côtes de Coromandel et de Malabar. Ils ont gouverné autrefois. Leurs cérémonies actuelles en font foi encore. Le Cormo-Veidam ordonne qu’à la naissance du fils d’un brame on lui dise gravement : « Vis pour commander aux hommes. »

Ils ont conservé leurs anciens emblèmes ; notre célèbre Hol-

  1. Voyez la note 2, tome XXIV, page 148.