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DES GRECS, DE SOCRATE, ETC.

reconnaissaient l’immortalité de l’âme, à l’exemple des Asiatiques et des Égyptiens, non-seulement avant qu’ils eussent des historiens, mais avant qu’Homère eût écrit, Homère n’inventa rien sur les dieux, il les prit comme ils étaient. Orphée, longtemps avant lui, avait fait recevoir sa théogonie dans la Grèce. Dans cette théogonie, tout commence par un chaos comme chez les Phéniciens et chez les Perses. Un artisan suprême débrouille ce chaos, et en forme le soleil, la lune, les étoiles, et la terre. Cet Être suprême, appelé Zeus, Jupiter, est le maître de tous les autres dieux, le dieu des dieux. Vous voyez à chaque pas cette théologie dans Homère. Jupiter seul assemble le conseil, lui seul lance le tonnerre ; il commande à tous les dieux, il les récompense, il les punit ; il chasse Apollon du ciel, il donne le fouet à Junon, il l’attache entre le ciel et la terre avec une chaîne d’or ; mais le bonhomme Homère ne dit pas à quel point fixe cette chaîne fut accrochée. Le même Jupiter précipite Vulcain du haut du ciel sur la terre, il menace le dieu Mars. Enfin il est partout le maître.

Rien n’est plus clair dans Homère que l’ancienne opinion de l’immortalité de l’âme, quoique rien ne soit plus obscur que son existence. Qu’est-ce que l’âme chez tous les anciens poëtes, et chez tous les philosophes ? Un je ne sais quoi qui anime le corps, une figure légère, un petit composé d’air qui ressemble au corps humain, et qui s’enfuit quand elle a perdu son étui. Ulysse en trouve par milliers dans les enfers. Le batelier Caron est continuellement occupé à les transporter dans sa barque. Cette théologie est aussi ridicule que tout le reste, j’en conviens ; mais elle démontre que l’immortalité de l’âme était un point capital chez les anciens.

Cela n’empêcha pas des sectes entières de philosophes de se moquer également de Jupiter et de l’immortalité de l’âme ; et ce qu’il faut soigneusement observer, c’est que la secte d’Épicure, qu’on peut regarder comme une société d’athées, fut toujours très-honorée. Je dis que c’était une société d’athées, car quand ils s’établirent dans la Palestine, en fait de religion et de morale, admettre des dieux inutiles qui ne punissent ni ne récompensent, et n’en admettre point du tout, c’est précisément la même chose.

Pourquoi donc les épicuriens ne furent-ils jamais persécutés, et que Socrate fut condamné à boire la ciguë ? Il faut absolument qu’il y ait une autre raison que celle du fanatisme pour condamner Socrate. Les épicuriens étaient les hommes du monde les plus sociables, et Socrate paraît avoir été le plus insociable. Il avoue lui-même dans sa défense qu’il allait de porte en porte,