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CHAPITRE XII.

dans Athènes, prouver aux gens qu’ils étaient des sots, il se fit tant d’ennemis qu’enfin ils vinrent à bout de le condamner à mort ; après quoi on lui demanda bien pardon. C’est précisément (au pardon près) l’aventure de Vanini[1]. Il disputait aigrement dans Toulouse contre des conseillers de justice. Ils lui persuadèrent qu’il était athée et sorcier, et ils le firent brûler en conséquence. Ces horreurs sont plus communes chez les chrétiens que dans l’ancienne Grèce.

L’évêque Warburton, dans son très-étrange livre de la Divine Légation de Moïse[2], prétend que les philosophes qui enseignaient l’immortalité de l’âme n’en croyaient rien du tout. Il se tourne de tous les sens pour prouver que tous ceux qu’on nomme les anciens sages avaient une double doctrine, la publique et la secrète ; qu’ils prêchaient en public l’immortalité de l’âme pour contenir le sot peuple, et qu’ils s’en moquaient tous en particulier avec les gens d’esprit. C’est là, je l’avoue, une singulière assertion pour un évêque. Mais quelle nécessité y avait-il pour ces philosophes de dire tout haut ce qu’ils ne croyaient pas en secret, puisqu’il était permis aux épicuriens de dire hautement que tout périt avec le corps, et que les pyrrhoniens pouvaient douter de tout impunément ? Qui pouvait forcer les philosophes à mentir le matin pour dire le soir la vérité ? des coquins pouvaient, en Grèce comme ailleurs, abuser des paroles d’un sage et lui intenter un procès. On a mis en justice des membres du parlement pour leurs paroles ; mais cela ne prouve pas que la chambre des communes ait deux doctrines différentes.

Cette double doctrine dont veut parler notre Warburton était principalement dans les mystères d’Isis, de Cérès, d’Orphée, et non chez les philosophes. On enseignait l’unité de Dieu dans ces mystères, tandis qu’en public on sacrifiait à des dieux ridicules. Voilà ce qui est d’une vérité incontestable. Toutes les formules des mystères attestent l’adoration d’un Dieu unique. C’est précisément comme s’il y avait chez les papistes des congrégations de sages qui, après avoir assisté à la messe de sainte Ursule et des onze mille vierges, de saint Roch et de son chien, de saint Antoine et de son cochon, allassent ensuite désavouer ces étonnantes bêtises dans une assemblée particulière ; mais, au contraire, les confréries de papistes enchérissent encore sur les superstitions auxquelles on les force. Les pénitents blancs, gris, et noirs,


  1. Voyez tome XXVI, page 480.
  2. Tome II, livre iii, (Note de Voltaire.)