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DE L’EMPEREUR JULIEN.

les Persans, et que, dans une vieillesse longue et paisible, il eût vu son antique religion rétablie, et le christianisme anéanti avec les sectes des pharisiens, des saducéens, des récabites, des esséniens, des thérapeutes, avec le culte de la déesse de Syrie, et tant d’autres dont il ne reste nulle trace ; alors que de louanges tous les historiens auraient prodiguées à Julien ! Au lieu du surnom d’apostat il aurait eu celui de restaurateur, et le titre de divin n’aurait pas paru exagéré.

Voyez comme tous nos indignes compilateurs de l’histoire romaine sont à genoux devant Constantin et Théodose ; avec quelle lâcheté ils pallient leurs forfaits ! Néron n’a jamais rien fait sans doute de comparable au massacre de Thessalonique. Le Cantabre Théodose feint de pardonner aux Thessaloniciens ; et au bout de six mois il les fait inviter à des jeux dans le cirque de la ville. Ce cirque contenait quinze mille personnes au moins, et il est bien sûr qu’il fut rempli : on connaît assez la passion du peuple pour les spectacles ; les pères et les mères y amènent leurs enfants qui peuvent marcher à peine. Dès que la foule est arrivée, l’empereur chrétien envoie des soldats chrétiens qui égorgent vieillards, jeunes gens, femmes, filles, enfants, sans en épargner un seul. Et ce monstre est exalté par tous nos compilateurs plagiaires, parce que, disent-ils, il a fait pénitence. Quelle pénitence, grand Dieu ! Il ne donna pas une obole aux parents des morts. Mais il n’entendit point la messe. Il faut avouer qu’on souffre horriblement quand on ne va point à la messe, que Dieu vous en sait un gré infini, que cela rachète tous les crimes.

L’infâme continuateur de Laurent Échard[1] appelle le massacre ordonné par Théodose une vivacité.

Les mêmes misérables qui barbouillent l’histoire romaine d’un style ampoulé et plein de solécismes vous disent que Théodose, avant que de livrer bataille à son compétiteur Eugène, vit saint Jean et saint Philippe, vêtus de blanc, qui lui promettaient la victoire. Que de tels écrivains chantent des hymnes à Jean et à Philippe, mais qu’ils n’écrivent point l’histoire.

Lecteur, rentrez ici en vous-même. Vous admirez, vous aimez Henri IV. Mais s’il avait succombé au combat d’Arques, où ses ennemis étaient dix contre un, et où il ne fut vainqueur que parce qu’il fut un héros dans toute l’étendue du terme, vous ne

  1. Le continuateur de Laurent Échard est l’abbé Guyon, dont il a été déjà question (voyez tome XXV, pages 585 : XXVI, 157 et 510) ; mais l’abbé Desfontaines fut le réviseur de tout l’ouvrage, et c’est de lui que Voltaire parle ici. (B.)