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CHAPITRE XVI.

vous habitez ; mais pour ce qui est de moi et de ma maison, nous servirons Adonaï ; et le peuple répondit : À Dieu ne plaise que nous abandonnions Adonaï, et que nous servions d’autres dieux ! »

Il est évident, par ce passage, que les Juifs y sont supposés avoir adoré Isis et Osiris en Égypte, et les étoiles en Mésopotamie. Josué leur demande s’ils veulent adorer encore ces étoiles, ou Isis et Osiris, ou Adonaï, le dieu des Phéniciens, au milieu desquels ils se trouvent. Le peuple répond qu’il veut adorer Adonaï, le dieu des Phéniciens. C’était peut-être une politique bien entendue que d’adopter le dieu des vaincus pour les mieux gouverner. Les barbares, qui détruisent l’empire romain ; les Francs, qui saccagèrent les Gaules ; les Turcs, qui subjuguèrent les Arabes mahométans : tous ont eu la prudence d’embrasser la religion des vaincus, pour les mieux accoutumer à la servitude. Mais est-il probable qu’une si petite horde de barbares juifs ait eu cette politique ?

Voici une seconde preuve beaucoup plus forte que ces Juifs n’avaient point encore de religion déterminée. C’est que Jephté, fils de Galaad et d’une fille de joie, élu capitaine de la horde errante, dit aux Moabites[1] : « Ce que votre dieu Chamos possède ne vous est-il pas dû de droit ? Et ce que le nôtre s’est acquis par ses victoires ne doit-il pas être à nous ? » Certes il est évident qu’alors les Juifs regardaient Chamos comme un véritable dieu ; il est évident qu’ils croyaient que chaque petit peuple avait son dieu particulier, et que c’était à qui l’emporterait, du dieu juif ou du dieu moabite.

Apportons une troisième preuve non moins sensible. Il est dit au premier chapitre des Juges[2] : « Adonaï se rendit maître des montagnes ; mais il ne put vaincre les habitants des vallées, parce qu’ils avaient des chariots armés de faux. » Nous ne voulons pas examiner si les habitants de ces cantons hérissés de montagnes pouvaient avoir des chars de guerre, eux qui n’eurent jamais que des ânes. Il suffit d’observer que le dieu des Juifs n’était alors qu’un dieu local qui avait du crédit dans les montagnes, et point du tout dans les vallées, à l’exemple de tous les autres petits dieux du pays, qui possédaient chacun un district de quelques milles, comme Chamos, Moloch, Remphan, Belphégor, Astaroth, Baal-Bérith, Baal-Zébuth, et autres marmousets.

  1. Juges, XI, 24. (Note de Voltaire.)
  2. Ibid., i, 19. (Id.)