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CHAPITRE XXIII.

ouvrage. L’auteur de ce livre aurait beau assurer qu’Abaris avait couru le monde à cheval sur une flèche, que cette flèche est précisément celle dont Apollon se servit pour tuer les cyclopes ; qu’Apollon cacha cette flèche auprès de Moscou ; que les vents en firent présent au Tartare Abaris, grand poëte et grand sorcier, lequel fit un talisman des os de Pélops, il est certain que la cour de Pétersbourg n’en croirait rien du tout aujourd’hui ; mais les peuples de Casan et d’Astrakan auraient pu le croire il y a deux ou trois siècles.

La même chose arriverait au roi de Danemark et à toute sa cour si on lui apportait un livre écrit par le dieu Odin. On s’informerait soigneusement si quelques auteurs allemands ou suédois ont connu cet Odin et sa famille, et s’ils ont parlé de lui en termes honnêtes.

Bien plus, si ces contemporains ne parlaient que des miracles d’Odin, si Odin n’avait jamais rien fait que de surnaturel, il courrait grand risque d’être décrédité à la cour de Danemark. On n’y ferait pas plus cas de lui que nous n’en faisons de l’enchanteur Merlin.

Moïse semble être précisément dans ce cas aux yeux de ceux qui ne se rendent qu’à l’évidence. Aucun auteur égyptien ou phénicien ne parla de Moïse dans les anciens temps. Le Chaldéen Bérose n’en dit mot : car, s’il en avait fait mention, les Pères de l’Église (comme nous l’avons déjà remarqué sur Sanchoniathon) auraient tous triomphé de ce témoignage. Flavius Josèphe, qui veut faire valoir ce Moïse, quoiqu’il doute de tous ses miracles, ce Josèphe a cherché partout quelques témoignages concernant les actions de Moïse ; il n’en a pu trouver aucun. Il n’ose pas dire que Bérose, né sous Alexandre, ait rapporté un seul des faits qu’on attribue à Moïse.

Il trouve enfin un Chérémon d’Alexandrie, qui vivait du temps d’Auguste, environ quinze ou seize cents ans après l’époque où l’on place Moïse ; et cet auteur ne dit autre chose de Moïse, sinon qu’il fut chassé d’Égypte.

Il va consulter le livre d’un autre Égyptien plus ancien, nommé Manéthon. Celui-là vivait sous Ptolémée Philadelphe, trois cents ans avant notre ère, et déjà les Égyptiens abandonnaient leur langue barbare pour la belle langue grecque. C’était en grec que Manéthon écrivait ; il était plus près de Moïse que Chérémon de plus de trois cents années ; Josèphe ne trouve pas mieux son compte avec lui. Manéthon dit qu’il y eut autrefois un prêtre d’Héliopolis nommé Osarsiph, qui prit le nom de Moïse, et qui s’enfuit avec des lépreux.