Que l’on compare ce récit avec celui de l’Exode, et que l’on donne la préférence à celui qu’on voudra choisir ; pour moi, je ne suis pas assez savant pour en juger. Je conviendrai seulement que l’un et l’autre sont dans le genre merveilleux.
Outre cette Vie de Moïse, nous avons deux relations de sa mort, non moins admirables. Il y a dans la première une longue conversation de Moïse avec Dieu, dans laquelle Dieu lui annonce qu’il n’a plus que trois heures à vivre. Le mauvais ange Samael assistait à la conversation. Dès que la première heure fut passée, il se mit à rire de ce qu’il allait bientôt s’emparer de l’âme de Moïse, et Michael se mit à pleurer. « Ne te réjouis pas tant, méchante bête, dit le bon ange au mauvais ; Moïse va mourir, mais nous avons Josué à sa place. »
Quand les trois heures furent passées. Dieu commanda à Gabriel de prendre l’âme du mourant. Gabriel s’en excusa, Michael aussi. Dieu, refusé par ses deux anges, s’adresse à Zinghiel. Celui-ci ne voulut pas plus obéir que les autres : « C’est moi, dit-il, qui ai été autrefois son précepteur ; je ne tuerai pas mon disciple. » Alors Dieu, se fâchant, dit au mauvais ange Samael : « Eh bien ! méchant, prends donc son âme. » Samael, plein de joie, tire son épée et court sur Moïse. Le mourant se lève en colère, les yeux étincelants : « Comment, coquin, lui dit Moïse, oserais-tu bien me tuer, moi qui, étant enfant, ai mis la couronne d’un pharaon sur ma tête ; qui ai fait des miracles à l’âge de quatre-vingts ans ; qui ai conduit hors d’Égypte soixante millions d’hommes ; qui ai coupé la mer Rouge en deux ; qui ai vaincu deux rois si grands que, du temps du déluge, l’eau ne leur venait qu’à mi-jambe ? Va-t’en, maraud, sors de devant moi tout à l’heure. »
Cette altercation dura encore quelques moments. Gabriel, pendant ce temps-là, prépara un brancard pour transporter l’âme de Moïse ; Michael, un manteau de pourpre : Zinghiel, une soutane. Dieu lui mit les deux mains sur la poitrine, et emporta son âme.
- ↑ Voltaire a reproduit aussi une partie de ce chapitre dans les Questions sur l’Encyclopédie. Voyez tome XVII, page 298.