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CHAPITRE XXVI.

C’est à cette histoire que l’apôtre saint Jude fait allusion dans son Épître[1], lorsqu’il dit que l’archange Michael disputa le corps de Moïse au diable. Comme ce fait ne se trouve que dans le livre que je viens de citer, il est évident que saint Jude l’avait lu, et qu’il le regardait comme un livre canonique.

La seconde histoire de la mort de Moïse est encore une conversation avec Dieu. Elle n’est pas moins plaisante et moins curieuse que l’autre. Voici quelques traits de ce dialogue :


Moïse. Je vous prie. Seigneur, de me laisser entrer dans la terre promise au moins pour deux ou trois ans.

Dieu. Non, mon décret porte que tu n’y entreras pas.

Moïse. Que du moins on m’y porte après ma mort.

Dieu. Non, ni mort, ni vif.

Moïse. Hélas ! bon Dieu, vous êtes si clément envers vos créatures, vous leur pardonnez deux ou trois fois ; je n’ai fait qu’un péché, et vous ne me pardonnez pas !

Dieu. Tu ne sais ce que tu dis : tu as commis six péchés... Je me souviens d’avoir juré ta mort ou la perte d’Israël ; il faut qu’un de ces deux serments s’accomplisse. Si tu veux vivre, Israël périra.

Moïse. Seigneur, il y a là trop d’adresse ; vous tenez la corde par les deux bouts. Que Moïse périsse plutôt qu’une seule âme d’Israël.

Après plusieurs discours de la sorte, l’écho de la montagne dit à Moïse : « Tu n’as plus que cinq heures à vivre. » Au bout des cinq heures. Dieu envoya chercher Gabriel, Zinghiel, et Samael. Dieu promit à Moïse de l’enterrer, et emporta son âme.

Tous ces contes ne sont pas plus extraordinaires que l’histoire de Moïse ne l’est dans le Pentateuque. C’est au lecteur d’en juger.


CHAPITRE XXVI.
Si l’histoire de Bacchus est tirée de celle de Moïse.


Nous avons déjà remarqué[2] une prodigieuse ressemblance entre ce que l’antiquité nous dit de Moïse et ce qu’elle dit de Bacchus : ils ont habité la même contrée ; ils ont fait les mêmes

  1. Verset 9.
  2. Tome XI, page 79 ; XXVI, 201 ; et ci-dessus, chap. xi, page 152.