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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome28.djvu/211

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MORALE DE JÉSUS.

qu’ils ne vous accusent pas ; tuez jusqu’aux enfants à la mamelle : c’est ainsi qu’en usait David[1] avec les sujets du roitelet Achis ; associez-vous à d’autres voleurs, et tuez-les ensuite par derrière, au lieu de partager avec eux le butin ; tuez vos pères et vos mères pour en hériter plus tôt, etc., etc. »

Beaucoup d’hommes, beaucoup de Juifs surtout, ont commis ces abominations ; mais aucun homme ne les a prêchées dans des pays un peu policés. Il est vrai que les Juifs, pour excuser leurs premiers brigandages, ont imputé à leur Moïse des ordonnances atroces. Mais au moins ils adoptèrent les dix commandements communs à tous les peuples : ils défendirent le meurtre, le vol et l’adultère ; ils recommandèrent l’obéissance aux enfants envers les pères et les mères, comme tous les anciens législateurs. Pour réussir, il faut toujours exhorter à la vertu. Jésus ne put prêcher qu’une morale honnête : il n’y en a pas deux. Celle d’Épictète, de Sénèque, de Cicéron, de Lucrèce, de Platon, d’Épicure, d’Orphée, de Thaut, de Zoroastre, de Brama, de Confucius, est absolument la même.

Une foule de francs-pensants nous répond que Jésus a trop dérogé à cette morale universelle. Si on en croit les Évangiles, disent-ils, il a déclaré qu’il faut haïr son père et sa mère[2] ; qu’il est venu au monde pour apporter le glaive et non la paix[3], pour mettre la division dans les familles. Son contrains-les d’entrer[4] est la destruction de toute société, et le symbole de la tyrannie. Il ne parle que de jeter dans les cachots[5] les serviteurs qui n’ont pas fait valoir l’argent de leur maître à usure : il veut qu’on regarde comme un commis de la douane[6] quiconque n’est pas de son église. Ces philosophes rigides trouvent enfin, dans les livres nommés Évangiles, autant de maximes odieuses que de comparaisons basses et ridicules.

Qu’il nous soit permis de répliquer à leurs assertions. Sommes-nous bien sûrs que Jésus ait dit ce qu’on lui fait dire ? Est-il bien vraisemblable (on ne juger que par le sens commun) que Jésus ait dit qu’il détruirait le temple, et qu’il le rebâtirait en trois jours[7] ; qu’il ait conversé avec Élie et Moïse[8] sur une montagne ; qu’il ait été trois fois emporté par le Knat-bull, par le diable[9], la première fois dans le désert, la seconde sur le comble

  1. I. Rois, xxvii, 9.
  2. Matth., x, 37.
  3. Ibid., 34.
  4. Luc, xiv, 23.
  5. Matth., xxv, 30.
  6. Matth., xviii, 17.
  7. Jean, ii, 19.
  8. Matth., xvii, 3.
  9. Matth., iv, 8 ; Luc, iv, 8.