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CHAPITRE XXXVIII.

encore dans ces belles paroles d’une de ses lettres à son capricieux et méchant ami Denys le Tyran : « Les plus belles choses ont en Dieu leur cause première, les secondes en perfection ont en lui une seconde cause, et il est la troisième cause des ouvrages du troisième degré. »

N’êtes-vous pas content de cette trinité ? En voici une autre dans son Timée : « C’est la substance indivisible, la divisible, et la troisième qui tient de l’une et de l’autre. »

Tout cela est bien merveilleux ; mais si vous aimez des trinités vous en trouverez partout. Vous verrez en Égypte Isis, Osiris et Horus ; en Grèce, Jupiter, Neptune et Pluton, qui partagent le monde entre eux : cependant Jupiter seul est le maître des dieux. Birma, Brama et Vistnou, sont la trinité des Indiens. Le nombre trois a toujours été un terrible nombre.

Outre ces trinités, Platon avait son monde intelligent. Celui-ci était composé d’idées archétypes qui demeuraient toujours au fond du cerveau, et qu’on ne voyait jamais.

Sa grande preuve de l’immortalité de l’âme, dans son dialogue de Phédon et d’Ékécratès, était que le vivant vient du mort, et le mort du vivant ; et de là il conclut que les âmes après la mort vont dans le royaume des enfers. Tout ce beau galimatias valut à Platon le surnom de divin, comme les Italiens le donnent aujourd’hui à leur charmant fou l’Arioste, qui est pourtant plus intelligible que Platon.

Mais qu’il y ait dans Platon du divin ou un peu de ce profond enthousiasme qui approche de la folie, on l’étudiait dans Alexandrie depuis plus de trois cents années. Toute cette métaphysique est même beaucoup plus ancienne que Platon : il la puisa dans Timée de Locres. On voit chez les Grecs une belle filiation d’idées romanesques. Le Logos est dans ce Timée, et ce Timée l’avait pris chez l’ancien Orphée. Vous trouvez, dans Clément d’Alexandrie et dans Justin, ce fragment d’un hymne d’Orphée : « Je jure par la parole qui procéda du père, et qui devint son conseiller quand il créa le monde. »

Cette doctrine fut enfin tellement accréditée par les platoniciens qu’elle pénétra jusque chez les Juifs d’Alexandrie.

Philon, né dans cette ville, l’un des plus savants Juifs et Juif de très-bonne foi, fut un platonicien zélé. Il alla même plus loin que Platon, puisqu’il dit que « Dieu se maria au verbe, et que le monde naquit de ce mariage ». Il appelle le verbe Dieu.

Les premiers sectateurs de Jésus qui vinrent dans Alexandrie y trouvèrent donc des Juifs platoniciens. Il faut remarquer qu’il