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DE LA COUR DE LOUIS XIV.

monde ; et dit : « Messieurs, voilà le roi d'Espagne ; la naissance l'appelait à cette couronne, toute la nation l'a souhaité et me l'a demandé instamment ; c'était l'ordre du ciel. » Puis en se tournant, au roi d'Espagne, il lui dit : « Soyez bon Espagnol ; c'est présentement votre premier devoir ; mais souvenez-vous que vous êtes né Français, pour entretenir l'union entre les deux nations : c'est le moyen de les rendre heureuses, et de conserver la paix de l'Europe. » Puis, s'adressant à l'ambassadeur, il dit, montrant le roi d'Espagne : « S'il suit mes conseils, vous serez grand seigneur [1], et bientôt ; il ne saurait mieux faire présentement que de suivre vos avis. » M. le duc de Bourgogne et M. le duc de Berry embrassèrent le roi d'Espagne, et ils fondaient tous trois en larmes. L'ambassadeur d'Espagne fit un assez long compliment au roi son maître ; et, quand il eut fini, le roi lui dit : « Il n'entend pas encore l'espagnol ; c'est à moi à répondre pour lui. »

Le roi mena le roi d'Espagne à la messe, le mit à sa droite. Il s'aperçut qu'il n'avait point de carreau ; il voulut lui donner le sien ; le roi d'Espagne le refusa, le roi le fit ôter, et ne s'en servit pas. Le roi permit aux jeunes courtisans de le suivre quand il partirait pour l'Espagne : ce qui fit dire à l'ambassadeur, pour les y encourager, que ce voyage devenait aisé, et que présentement les Pyrénées étaient fondues [2].

Le roi donna une abbaye au fils d'un seigneur de la cour, avant la nomination des autres, lui disant : « Je suis bien aise de vous traiter différemment des autres, et de faire voir à votre fils combien je suis content de le voir prendre le parti de devenir homme de bien [3]. »

(2 mars 1701.) Le roi eut l'honnêteté de mander à M. de Vaudemont que monsieur [4] de Savoie proposait un traité avantageux à la France et à l'Espagne, mais dont une des conditions était que Son Altesse royale serait généralissime de toutes les troupes de France en Italie, et qu'il n'avait pas voulu signer ce traité sans savoir s'il n'aurait pas quelque peine d'être sous

  1. Je doute fort que le roi se soit servi de ces termes : « Vous serez grand seigneur, » en parlant à un ambassadeur d'Espagne qui avait la grandesse.
  2. Louis XIV avait dit : « Il n'y a plus de Pyrénées. » Cela est plus beau.
  3. Sans doute le bénéfice était considérable, afin que le pourvu fût plus homme de bien. Je crois que c'était l'abbé de Montgon.
  4. Monsieur de Savoie, c'est Victor-Amédée, roi de Sicile, et depuis roi de Sardaigne. Les courtisans disaient toujours monsieur de Savoie, monsieur de Parme, monsieur de Lorraine. L'un d'eux, à table avec l'électeur de Mayence, voyant qu'on était un peu pressé, lui dit : « Mons de Mayence, un petit coup de fesse. » On disait Mons de Brandebourg, en supprimant le sieur.