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SOUVENIRS

sentiments ; mais on leur fit voir si clairement qu'elle était en droit de le porter que ces princesses n'eurent plus rien à dire, et même Madame a toujours rendu à Mme de Dangeau ce qui était dû à sa naissance et à son mérite, et elle a eu pour elle toute l'amitié dont elle était capable.

Elle (madame la dauphine) mourut persuadée que sa dernière couche lui avait donné la mort, et elle dit en donnant sa bénédiction à M. le duc de Berry : Ah ! mon fils, que tes jours coûtent cher à ta mère [1] !

Il est, je crois, à propos de parler présentement de Mme la princesse de Conti, fille du roi, de cette princesse belle comme Mme de Fontanges, agréable comme sa mère, avec la taille et l'air du roi son père, et auprès de laquelle les plus belles et les mieux faites n'étaient pas regardées. Il ne faut pas s'étonner que le bruit de sa beauté se soit répandu jusqu'à Maroc, où son portrait fut porté [2].

Je ne sais si l'humeur de Mme la princesse de Conti contribuait à révolter les conquêtes que la beauté lui faisait faire, ou par quelle fatalité elle eut aussi peu d'amants fidèles que d'amants reconnaissants ; mais il est certain qu'elle n'en conserva pas. Et ce qui se passa entre elle et Mlle Chouin est aussi humiliant que singulier.

Mlle Chouin était une fille à elle, d'une laideur à se faire remarquer, d'un esprit propre à briller dans une antichambre, et capable seulement de faire le récit des choses qu'elle avait vues. C'est par ces récits qu'elle plut à sa maîtresse, et ce qui lui attira sa confiance. Cependant cette même Mlle Chouin enleva ii la plus belle princesse du monde le cœur de M. de Clermont-Chate, en ce temps-là officier des gardes.

Il est vrai qu'ils pensaient à s'épouser ; et sans doute qu'ils avaient compté, par la suite des temps, non-seulement d'y faire consentir Mme la princesse

  1. Beau vers de l'Andromaque de Racine, La dauphine de Bavière ne manquait ni de goût ni de sensibilité ; mais sa santé toujours mauvaise la rendait incapable de société. On lui contestait ses maux; elle disait : « Il faudra que je meure pour me justifier. » Et ses maux empiraient par le chagrin d'être laide dans une cour où la beauté était nécessaire.
  2. Cela est très-vrai ; l'ambassadeur de Maroc, en recevant le portrait du roi, demanda celui de la princesse sa fille. Comme elle eut le malheur d'essuyer beaucoup d'infidélités de ses amants, Périgny fit un couplet pour elle.

    Pourquoi refusez-vous l'hommage glorieux
    D'un roi qui vous attend et qui vous croira belle?
    Puisque l'hymen à Maroc vous appelle.
    Partez, c'est peut-être en ces lieux
    Qu'il vous garde un amant fidèle.