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DE MADAME DE CAYLUS.

J’ai vu, depuis la mort de Mme de Maintenon, des lettres d’elle, gardées à Saint-Cyr, qu’elle écrivait à ce même abbé Gobelin que j’ai déjà cité. Dans les premières, on voit une femme dégoûtée de la cour et qui ne cherche qu’une occasion honnête de la quitter ; dans les autres, qui sont écrites après la mort de la reine, cette même femme ne délibère plus, le devoir est pour elle marqué et indispensable d’y demeurer. Et, dans ces temps différents, la piété est toujours la même [1].

Mme de Maintenon avait un goût et un talent particulier pour l’éducation de la jeunesse. L’élévation de ses sentiments et la pauvreté où elle s’était vue réduite lui inspiraient surtout une grande pitié pour la pauvre noblesse ; en sorte qu’entre tous les biens qu’elle a pu faire dans sa faveur, elle a préféré les gentilshommes aux autres ; et je l’ai vue toujours choquée de ce qu’excepté certains grands noms, on confondait trop à la cour la noblesse avec la bourgeoisie.

Elle connut à Montchevreuil une ursuline dont le couvent avait été ruiné, et qui peut-être n’en avait pas été fâchée, car je crois que cette fille n’avait pas une grande vocation. Quoi qu’il en soit, elle fit tant de pitié à Mme de Maintenon qu’elle s’en souvint dans sa fortune, et loua pour elle une maison : on lui donna des pensionnaires, dont le nombre augmenta à proportion de ses revenus. Trois autres religieuses se joignirent à Mme de Brinon (car c’est le nom de cette fille dont je parle), et cette communauté s’établit d’abord à Montmorency, ensuite à Ruel ; mais le roi ayant quitté Saint-Germain pour Versailles, et agrandi son parc, plusieurs maisons s’y trouvèrent renfermées, entre lesquelles était Noisy-le-Sec. Mme de Maintenon le demanda au roi pour y mettre Mme de Brinon [2] avec sa communauté. C’est là qu’elle eut la pensée de l’établissement de Saint-Cyr [3].

Mme de Brinon aimait les vers et la comédie, et au défaut des pièces de Corneille et de Racine, qu’elle n’osait faire jouer, elle en composait de détestables, à la vérité ; mais c’est cependant à elle, et à son goût pour le théâtre, qu’on doit les deux belles pièces que Racine a faites pour Saint-Cyr. Mme de Brinon avait de l’esprit et une facilité incroyable d’écrire et de parler, car elle faisait aussi des espèces de sermons fort éloquents ; et tous les dimanches, après la messe, elle expliquait l’Évangile comme aurait pu faire M. Le Tourneur.

  1. Et l’abbé Gobelin l’encourage par ses lettres et ne lui parle plus qu’avec un profond respect, et l’abbé de Fénelon, précepteur des Enfants de France, ne la nomme plus qu’Esther.
  2. On peut dire hardiment que cette Mme de Brinon était une folle qui brûlait d’envie de jouer un rôle.
  3. Cet établissement utile a été surpassé par celui de l’École militaire, imaginé par M. Pâris-Duverney, et proposé par Mme de Pompadour.